Qui rachètera Biogaran ? C’est la question qui se pose dans le milieu médical. La semaine dernière les laboratoire Servier annonçait le nom des repreneurs potentiels pour sa filiale spécialisée dans les médicaments génériques. En lice pour le rachat 2 fonds d’investissement européen et 2 laboratoires indiens. L’annonce a fait revenir sur le devant de la scène le serpent de mer de la production de médicaments nationale. La vente de Biogaran inquiète pour la production pharmaceutique française.
Il faut déjà prendre la mesure de Biogaran. Le leader des génériques français a son logo sur 3 boites de médicament sur 10 en France. Il produit 900 références différences dont l’amoxicilline, l’antibiotique le plus prescrit de France. Il a suffi d’une annonce de vente pour donner des sueurs froides aux pharmaciens. « L’annonce de la vente ne nous surprend pas, déclare Philippe Besset, président de la fédération des pharmacies d’officine. Mais elle nous inquiète. »
C’est surtout la possibilité d’une vente à des laboratoires indiens qui préoccupe. Elle pourrait être suivie d’un désengagement du territoire français pour produire en Asie, où le prix de production est plus faible. « Quand le marché va bien les laboratoires sont bien heureux de vendre dans le monde entier mais en cas de pénurie ils privilégient toujours leur marché national. Nous l’avons vu avec les masques pendant la pandémie. Cela pourrait se reproduire.»
Et pénurie il y a. L'Agence de sécurité du médicament a enregistré 4 925 signalements de ruptures de stocks et de risques de rupture en 2023. En première ligne, les génériques. Selon Philippe Besset ils ne sont pas la priorité des laboratoires car peu rentables. « Une boite de médicaments générique vaut quelques dizaines de centimes, parfois la marge est même négative. » Ce sont les médicaments de pointe qui rapportent les plus, ceux à destination des patients avec des pathologies lourdes. « Ces médicaments, par boite, coutent quelques dizaines de milliers d’euros. »
C’est d’ailleurs la raison annoncée de la vente de Biogaran par Servier. Le laboratoire souhaite se concentrer sur les médicaments de pointe comme l’oncologie, plus rentables selon eux. « C’est ce qu’a fait Novartif avec Sandoz, Sanofi aussi se sépare de sa branche grand public qui produit le Doliprane, énumère Nathalie Coutinet, spécialiste dans l’économie de la santé. Cela s’inscrit dans une stratégie des grandes firmes. »
L’association Gemme, qui représente les professionnels du médicament générique n’a pas souhaité répondre à nos questions mais dénonce par communiqué plusieurs entraves économiques à la production. La hausse des prix des matières premières. La clause de sauvegarde, une ponction de l’assurance maladie des recettes des laboratoires sur les bénéfices des médicaments génériques.
Et surtout les prix fixes, plafonnés à 50% du médicament de base. Depuis 2022, les médicaments fabriqués en France peuvent bénéficier d’une revalorisation. Cependant 60% des demandes sont refusées et dans le cas où elles le sauraient, l’augmentation n’est que de quelques centimes. L’amoxicilline en a bénéficié, son prix a augmenté de 10% pour atteindre 6,48€. Cette revalorisation, de quelques mois initialement, a été accordée pour contrecarrer la pénurie qui a menaçait en septembre 2023. Plusieurs autres titres de Biogaran bénéficient de ce mécanisme. Le leader français porte en effet haut les couleurs, 45% de sa production vient de France, 90% de l’union européenne.
Il ne suffit pas de dire réindustrialisation, réindustrialisation. Il faut s’en donner les moyens.
Nathalie Coutinet le rappelle « Biogaran ne produit pas, il commande. » En effet, sur les 8 600 emplois assurés par l’entreprise seulement 600 sont leurs employés. Le reste est composé de sous-traitant. En cas de vente à l’étranger de l’entreprise de générique leur emplois ne seraient pas supprimés automatiquement, ils perdraient juste un client. Les moyens de productions resteraient en France. « La fermeture de ces entreprises n’est pas inéluctable. L’état n’a pas besoin de racheter Biogaran. Mais il est l’acheteur final avec ses hôpitaux. Il peut créer une entité qui achète directement les molécules qu’il lui faut à ces sous-traitants. »
Une solution qui a été choisie Aux Etats-Unis, où 900 hôpitaux publics se sont rassemblés en coopérative afin de produire des médicaments à prix raisonnables. « Il y a aussi des initiatives identiques au Brésil, en Afrique du sud...» énumère Laurence Cohen. L’ancienne sénatrice a été la rapporteuse de la commission d’enquête de 2023 sur les choix de l’industrie pharmaceutique française.
Pour elle le désengagement des laboratoires dans les génériques est dictée par une logique de marché plutôt que forcé par des besoins économiques. Une logique qui ne devrait pas selon elle influer sur la santé publique au vu des investissements de l’état dans le secteur. A l’appui elle rappelle le chiffre d’affaire de Biogaran : 1,29 milliard d’euros sur l’exercice 2022-2023, en croissance de près de 9 %.
« Ils disent que c’est des difficultés économiques mais l’industrie pharmaceutique est le deuxième bénéficiaire du crédit d’impôt recherche qui est quand même de 710 millions d’euros. C’est considérable et même eux pendant nos audition ont signalé que c’était attractif. » Le problème pour Laurence Cohen se trouve dans le manque de suivi de l’état. Actuellement, peu de mécanismes sont en place pour demander des comptes aux laboratoires malgré des aides de l’état. L’ancienne sénatrice se disait disposée à travailler sur le sujet mais n’a pas reçu de réponse de l’état.
Cette proposition n’est donc pas sur la table. Vendredi dernier sur le plateau de RMC, Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie n’a pas évoqué de véto à la vente de Biogaran. Il promet cependant d’être « ferme sur les conditions d’une transaction ». Pour l’instant aucune proposition formelle des laboratoires indiens comme des fond d’investissement européens n’a été faite.
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