Faut-il créer un délit spécifique pour le harcèlement scolaire ? C’est tout le sens d’une proposition de loi qui arrive en séance publique demain à l’Assemblée nationale. L’objectif est de mieux prendre en charge les victimes, de prévenir et de combler un vide juridique.
Il n’y a pas aujourd’hui de mention du harcèlement scolaire en tant que tel dans le code pénal. On y trouve le harcèlement moral ou encore le harcèlement sexuel. Mais rien qui concerne le harcèlement à l’école, qui pourtant est un phénomène particulièrement répandu. Le gouvernement estime que 6 % des élèves sont harcelés en France même si les chiffres sont très difficiles à établir. On se souvient du récent suicide en octobre de la jeune Dinah, une ado de 14 ans, harcelée à l’école.
Un phénomène grave, accentué aujourd’hui par les réseaux sociaux et sur lequel se positionne le député Modem du Finistère Erwan Balanant. Sa proposition de loi arrivera mercredi en séance publique à l’Assemblée nationale, dans une procédure accélérée. Un volet concerne donc la création d’un délit spécifique autour du harcèlement scolaire. "Ça permet d’avoir la définition d’un interdit. Aujourd’hui il n’est pas spécifiquement écrit que le harcèlement scolaire est interdit. Le pari que je fais, c’est que ça pourra entraîner la société sur ce sujet", explique Erwan Balanant.
Il y a dans la démarche de ce député une forte portée symbolique : faire du harcèlement scolaire un délit répréhensible et donc signifier aux jeunes que leurs agissements peuvent avoir de lourdes conséquences.
Mais plus que le symbole, cela va permettre de mettre les choses aux clairs et d’encadrer juridiquement ces actes. "On aura le cadre du délit, son champ d’application, les peines encourues. S’il y a une définition à proprement parler du harcèlement scolaire, ça regroupera toutes les choses qui sont un peu éparses et qu’on doit nous, quand on doit qualifier des faits, aller chercher à droite à gauche", affirme maître Florence Rouas, qui salue une avancée sur la question.
Jusqu’ici, les faits de harcèlement scolaire se rapportent au harcèlement moral sur le plan de la justice, qui est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. Avec ce nouveau délit, le harcèlement scolaire pourrait être passible de 3 à 10 ans d’emprisonnement selon la gravité des conséquences.
Cette absence de délit fait que les parents sont souvent assez démunis aujourd’hui. Pas toujours facile pour eux de savoir vers qui se tourner, comment s’y prendre et comment aider leurs enfants. "Dans un premier temps, on va souvent leur dire ‘changez-les d’école’ sauf que parfois ça ne solutionne en rien les problèmes. Donc ils vont aller porter plainte, finalement la réponse ne sera pas adaptée parce que le délit n’existe pas. Parfois ils sont mal accueillis. [...] Donc ils vont se retourner vers l’établissement scolaire qui va ensuite se retourner vers le rectorat puis vers la police. Une procédure ça prend deux ans minimum mais on ne peut pas laisser souffrir son enfant pendant deux ans", explique Pauline Frey, la directrice générale de l’association Hugo, qui lutte contre le harcèlement scolaire.
D’autant plus que le parcours de soins coûte souvent cher. L’association Hugo estime à 500 euros par mois le montant pour une famille de la prise en charge de son enfant victime de harcèlement. Cela va des séances chez un psychologue au suivi d’un diététicien puisque le harcèlement provoque souvent des troubles de l’alimentation. La création d’un délit spécifique permettrait donc aux familles d’être aidées dans la reconstruction des enfants.
Certaines, qui estiment que le collège ou le lycée savait mais n’a rien fait, se retournent parfois contre les établissements. "C’est l’article 40 du code de procédure pénale qui oblige les personnes qui ont connaissance d’une infraction à le signaler", précise maître Florence Rouas.
Il est par ailleurs précisé dans la proposition de loi que le harcèlement scolaire ne s’opère pas qu’entre élèves mais peut avoir lieu avec des adultes, professeurs ou surveillants par exemple.
Le député Erwan Balanant ne veut pas être dans le tout répressif. Il insiste aussi sur la prévention, en obligeant notamment les établissements scolaires à mettre en place de véritables politiques et que tous les personnels soient formés sur ces questions. "Il faut libérer la parole chez les enfants. Le fait de prévenir va permettre aux enfants de connaître l’existence du harcèlement et que la solution c’est d’en parler. L’une des clefs très importantes c’est que les enfants développent l’empathie", insiste Pauline Frey, de l’association Hugo.
Le député Erwan Balanant espère que le texte sera définitivement adopté en 2022, avant la fin du quinquennat. Emmanuel Macron a lui annoncé il y a deux semaines plusieurs mesures pour lutter contre le harcèlement scolaire : entre autres le lancement d’une application pour permettre aux victimes de témoigner et le renforcement des points d’accueil écoute jeunes.
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