Les paroissiens n’ont pas le droit de mettre les pieds dans les églises, mais les photographes si. Dans les journaux, sur les réseaux, on peut voir des images de chapelles, d’églises, de cathédrales, toutes vides, des rangées de bancs, souvent barrés de longues bandes de plastique pour en interdire l’accès comme sur une scène d’enquête policière. On a tous aussi en tête ces images incroyables il y a quinze jours du Pape François, seul, sur la place Saint Pierre, pour une bénédiction urbi et orbi extraordinaire. Pas un fidèle et le Pape seul sous l’auvent, c’était marquant. Mais là, un photographe de l’agence France Presse, Ezequiel Becerra a trouvé un prêtre et une église étonnantes.
La scène se passe au Costa Rica, dans la ville de San José. On est dans une petite église. Le photographe est dans le transept, face à nous la rangée centrale. Au centre, le prêtre, avec sa robe bleue, violette et blanche. Il a les mains jointes, il nous regarde. De chaque côté, une exacte symétrie : des bancs en bois qui suivent les lignes de fuite, pour se rejoindre, tout au fond, vers le porche d’entrée. Sur les côtés, des vitraux qui se répondent à gauche et à droite. Et en haut, le plafond en bois. Notre regard circule, il revient sur les bancs... Sur leur dossier, on a des images colorées, des feuilles en format A4, avec un bord blanc et une photo imprimée au centre. Une dizaine de photos par banc, comme une exposition particulière, avec à la place des cimaises, des morceaux de scotch.
La légende nous aide à voir : le père Victor Jimenez – c’est son nom – a placé des photos de ses paroissiens sur les bancs pour les avoir avec lui. Ce sont les familles qui fréquentent son Eglise qui ont du lui envoyer un cliché pour partager symboliquement et spirituellement la Semaine Sainte avec leur prêtre, lui aussi confiné et tenu de respecter la fameuse distanciation sociale. Des photos de vacances, des photos de repas, des images posées, spontanées… C’est à la fois touchant et un peu ridicule. C’est prêter aux photos un pouvoir presque magique. On s’est moqué des tribus qui pensaient que les photographes volaient leurs âmes en appuyant sur le déclencheur de leur appareil. On peut sourire en voyant cette communauté penser que des photocopies leur permettront d’être ensemble. Mais c’est aller un peu vite. Car ce qui compte, ce n’est pas la scène que j’ai sous les yeux. Ce n’est pas ce que vit seul ce prêtre face à ces visages imprimées et scotchées. Ce qui compte, c’est que la photo de cette scène soit partagée. C’est que cette image va être VUE par les fidèles de l’Eglise du père Jimenez, qu’en circulant, cette image va leur permettre d’incarner le lien, de le représenter. Nous sommes ensemble, nous vivons ce moment important de la vie des chrétiens dans une forme inédite, dans un mouvement qui n’est pas celui que nous connaissons, mais unis. Voilà ce que dit cette image. Pour une fois, dire sur cette antenne, que ce n’est pas la composition de la photo qui importe, que ce n’est même pas l’oeil du photographe qui compte, c’est l’action qui prime : le partage de cette image et du message qu’elle représente. A San José comme ici, chez vous, chez nous.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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