Le week-end dernier, le cœur de la France a battu au rythme des célébrations du centenaire de l'armistice de la Grande guerre. C’est une photo de ces commémorations que vous avez retenue.
Oui, c’est une image tendre. Celle d’Angela Merkel qui pose doucement sa tête sur l’épaule d’Emmanuel Macron. Elle ferme ses yeux, il baisse la tête. Leurs peaux se touchent. Son nez à elle se glisse dans son cou à lui. C’est une image qui nous surprend, car il y a une proximité entre la chancelière allemande et le président français, qui n’est pas commune. On ne se salue pas comme ça le matin, Stéphanie. Quand on entre en studio, Jean, on se serre plutôt la main. Non, ce geste de complicité entre un homme et une femme, cela nous évoque plutôt des figures amoureuses, des traces d’intimité conjugale. Pas la réconciliation de deux grands pays européens, qui se sont affrontés de façon si sanglante entre 1914 et 1918.
Oui, mais c’est normal de chercher des photos qui incarnent cette réconciliation franco-allemande, non ? A chaque cérémonie, on essaie de capturer des signes de pardon et d’amitié…
Vous avez raison, Stéphanie. Mais quelque part, ça y’est, la photo est faite. Et personne ne pourra faire mieux. Cette photo, vous l’avez en tête, nos auditeurs aussi. C’est évidemment ce cliché de 1984, en noir et blanc, Helmut Kohl et François Mitterrand qui se tiennent par la main à Douaumont, au mémorial de Verdun. Cette photo nous a marqué car ce sont deux figures historiques, deux hommes de pouvoir. Helmut Kohl, le chancelier allemand. François Mitterrand, le président français. Ils ont connu la guerre. François Mitterrand a été blessé sur l'un des champs de bataille de Verdun en juin 1940. C’était une autre guerre, mais c’était les mêmes lieux. Le père de Kohl a participé à la bataille de 1916. Ils avaient évidemment ces images en tête en marchant ensemble sur – « cette terre labourée par la mort ». Ce jour de septembre 1984, ils prennent place devant des cercueils vides. L’hymne allemand retentit. Et tout d’un coup, François Mitterrand tend la main. Helmut Kohl la prend. Un geste « spontané », « instinctif », qui scelle la réconciliation franco-allemande de façon – dira le président français « visible, sensible, et profondément ressentie ».
Et c’est ce qui fait la force de cette photo, cet aspect authentique, spontané.
Bien sûr, Stéphanie. Et c’est finalement, ce qui cloche un peu avec la photo d’Emmanuel Macron et Angela Merkel à Rethondes. L’effusion semble excessive, le geste un peu surjoué. C'est un gros plan, en plus, pas de décor, pas de contexte. Un simple oeillet à la boutonnière pour situer. Et puis comme je vous le disais, la photo de septembre 1984 a finalement joué son rôle. Je peux vous raconter une dernière histoire pour finir ?
Mais faites David, vous êtes comme chez vous…
C’est une confidence de l’auteur du cliché en nior et blanc, Frédéric de Mure. Il m’a confié n’avoir réalisé la force de son image avec Kohl et Mitterrand que des années plus tard, en 1992, lors d’une exposition de ses photos à Paris. Il raconte : « Une dame plutôt âgée, originaire de Strasbourg, est venue me voir et m’a dit : “cette image, pour moi, c’est la fin de la guerre”. Et elle s’est mise à pleurer ». C’est aussi ça la force de cette photo : elle a permis de tourner définitivement une page. Celle de 2018, on ne sait pas trop quelle histoire elle veut nous raconter.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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