Quel beau roman ! Bon, je suis fan de Laurent Gaudé, et d’autant plus touché par ce nouveau roman Salina qui rejoint la veine splendide de La mort du roi Tsongor, Goncourt des lycéens en 2002 ou encore Pour seul cortège, paru en 2012.
Un souffle de légende traverse ces romans épiques. Et les mots résonnent au cœur du désert : « Ne vous fiez pas à ma solitude, tout un monde se présente à vous par ma voix », lance un personnage. Laurent Gaudé raconte cette histoire dans un souffle, la vie de Salina, nourrisson recueilli et élevé par le clan Djimba qui ne l’a finalement jamais vraiment adopté. Le mariage forcé, la naissance d’un fils, la guerre qui tombe à pic, et l’errance sans but, sans fin… L’héroïne se rebelle contre son destin et la violence nourrit sa vengeance. Il ne lui reste alors que l’itinérance, le désert pour horizon.
Un roman épique, particulièrement dense, il n’est pourtant pas très épais. A peine 150 pages, et c’est vrai, Laurent Gaudé nous envoûte, nous entraîne dans le désert avec une efficacité hallucinante. Il y a une quinzaine d’années, il avait écrit une pièce de théâtre sur cette même histoire, ce qui se ressent dans Salina, le roman qui nous fait « voir » les scènes : on entre dans l’épopée par le regard perçant des personnages. Tout tourne autour de cette « vie entière de poussière, de combats, d’errances et de rage ». Il est question de liberté et d’appartenance, d’honneur et de filiation, de malédiction et de destin… mais tout d’abord de la place dans la société. Salina, enfant aux larmes salées, n’a d’autre recours que la fuite en avant, figure des bannis de la terre, des migrants d’une inaccessible étoile. Une tragédie dont on fait des légendes, simplement par l’art du récit, quand Malaka, le fils fidèle, veut enfin mettre un terme à l’errance, permettre à Salina de reposer en paix : « Les oreilles, les yeux, les bouches qui l’entourent sont là pour écouter, et il doit leur donner l’histoire qu’il apporte de si loin ».
Ce sont les mots qui sauvent en quelque sorte. C’est surtout la vie qu’il faut saluer, la marche obstinée en dépit du malheur d’une enfant abandonnée, d’une femme rejetée, d’une mère déchirée… Tout est éphémère, le vent efface les traces dans le sable. Mais il reste les mots, le souvenir peut être partagé : « ce que les hommes veulent transmettre doit être donné de leur vivant », rappelle la tradition. Le vent tombe, l’éclat solaire faiblit, et l’histoire finit par s’inscrire dans le temps immobile. On ferme le livre, silencieux, ébloui.
C’est le livre de Laurent Gaudé, Salina, publié aux éditions Actes Sud.
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