En quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni a aussi profondément changé sa politique migratoire en sortant de l’espace de libre circulation des personnes. L’un des slogans des Brexiters était de reprendre le contrôle des frontières. Et c’est désormais chose faite selon Katia Wildak. "Maintenant, si un jeune diplômé veut faire un stage pour perfectionner son anglais, il ne pourra plus venir en Angleterre à moins de faire une demande de visa et c’est très difficile", affirme la présidente de l’association "3 millions" qui défend les droits des européens au Royaume-Uni.
Selon les chiffres du Migration Observatory d’Oxford, 3294 citoyens européens ont été refoulés aux frontières britanniques, au premier trimestre 2021 contre 493 un an plus tôt à la même période. D'après le journal Politico, une trentaine d’Européens ont même été placés en zone de rétention à leur arrivée dans le pays faute de visa. On a donc un durcissement de la politique migratoire qui entraîne un problème de main d’œuvre. "Il y a une pénurie de travailleurs européens qui étaient venus en masse depuis une vingtaine d’années. Nombre d‘entre eux ont décidé de repartir. Peut-être que le gouvernement devra ajuster sa position", explique Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l’université de Londres.
Le secteur de l'hôtellerie restauration est notamment très touché par cette pénurie avec près de 188.000 postes vacants selon UK Hospitality. Il y a aussi le cas des citoyens européens qui résident depuis longtemps au Royaume-Uni. Ils ont jusqu’au 30 juin, soit encore 15 jours pour demander leur titre de séjour, le fameux "Settle Statut". À en croire les dernières statistiques du Home Office, 5 millions 400.000 demandes ont été reçues et seulement 1 % de refusées. Mais Katia Wildak, craint les oublis : "Il y a quand même une inquiétude grandissante car on sait déjà qu’il y a des personnes en situation de vulnérabilité. On pense qu’il y a des dizaines ou des milliers de personnes qui n’auront pas fait leur demande à temps".
Au-delà de l’aspect administratif, c’est cette dynamique hostile et ce changement de philosophie qui heurte Katia Wildak. "Avant, grâce à la libre circulation des personnes, on n'avait pas l’impression d’être dans un autre pays. Aujourd'hui, c’est assez étrange de devoir prouver son statut", regrette-t-elle.
Outre l’aspect humain, le Brexit a eu de nombreuses conséquences économiques. En janvier et février, l'observatoire du commerce britannique de l'Université du Sussex a par exemple calculé que les exportations britanniques de textiles et de produits agroalimentaires vers l'Union européenne avaient chuté de respectivement 47 % et 30 %. "Maintenant, les exportateurs britanniques doivent remplir leur formulaire douannier. On a vu certains secteurs où on a eu des chutes d’exportations après la sortie du Royaume-Uni", assure Catherine Mathieu, économiste à l’OFCE, spécialiste du Royaume-Uni.
Les échanges sont quand même remontés en mars et avril pour retrouver presque des niveaux d’avant Brexit. Pour les industriels, il s’agit donc surtout de s’habituer à ces nouvelles normes car on rappelle qu’il n’y a pas de droit de douane supplémentaire, pas de quotas car l’Union européenne et les Britanniques ont négocié un accord de libre échange.
Et sur la question des contrôles aux frontières, il y a la particularité nord-irlandaise. L’Irlande du Nord fait l’objet d’un protocole particulier accepté par Boris Johnson et les Britanniques afin de ne pas rétablir de frontière physique entre les deux Irlandes pour ne pas réveiller les tensions encore vives du conflit nord-irlandais. Londres a accepté de placer cette zone frontalière en mer d’Irlande. Un accord que le Premier ministre britannique a bien du mal à respecter, reprochant aux Européens ces derniers jours de l'empêcher d’envoyer des saucisses anglaises dans son propre pays. "Cela pose un grand problème de définition de la frontière", affirme Catherine Mathieu.
Le cas de l’Irlande du Nord a encore empoisonné les discussions du sommet du G7 ces derniers jours. L’Union européenne menace de sanctions commerciales. Le Premier ministre britannique réplique en affirmant qu’il n’hésitera pas à suspendre tout le protocole. Et même le président des Etats-Unis, Joe Biden, a fait part de sa profonde préoccupation pour la stabilité de l’Irlande. Ce cas résume bien le Brexit : des problématiques commerciales et économiques qui entraînent des tensions sociales et diplomatiques.
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