Dans son dernier essai, Pierre-Yves Gomez étudie le fonctionnement du capitalisme contemporain. "L’esprit du capitalisme est rusé, plus fin que l’on imagine. Mais dans son double sens, malin veut aussi dire que le capitalisme produit des conséquences qui sont malignes. Je laisserai le lecteur trancher" explique Pierre-Yves Gomez, économiste, enseignant à l’EM Lyon, spécialiste du travail et des liens dans l’entreprise, auteur de "L’esprit malin du capitalisme" (éd. DDB).
Ce livre fait référence au grand livre de Max Weber, "l’esprit du capitalisme". "C’est un livre du début du XXème siècle qui montrait qu’il y avait un lien entre les valeurs chrétiennes et l’émergence du capitalisme. Le livre a été très critiqué mais elle a instauré dans l’espace intellectuel l’idée que les mentalités, les idées, les croyances, permettent ou non de développer l’économie. Dans mon livre j’essaie de montrer l’inverse. C’est le développement de l’économie qui produit des croyances, des mentalités, et un esprit qui peut être malin" ajoute-t-il.
Le capitalisme est insidieux. A notre insu, nous sommes devenus des micro-capitalistes, lance l’économiste. "Quand on travaille, on est évalué sur ses performances, et on va avoir des primes individuelles. Dans mon travail, je vais trouver du sens au fait de réaliser mes objectifs. Je valorise mon capital personnel, qui a un prix, la prime. Quand on est consommateur, je vais aussi valoriser mes avoirs. Au lieu de prêter une chambre d’amis, je vais la louer sur AirBnb. Au lieu de prendre un autostoppeur, je vais passer par Blablacar etc. Petit à petit, je deviens un micro-capitaliste, par extension et sans l’avoir voulu. C’est insidieux" analyse Pierre-Yves Gomez.
Dans le développement récent du capitalisme, Pierre-Yves Gomez distingue deux étapes : la financiarisation et la digitalisation. "En 1974, une décision qui paraît anodine consiste à demander aux fonds de pension américains de placer les cotisations des épargnants en Bourse pour de bonnes raisons. Ce qui a entraîné une transformation radicale de l’économie. Des milliards de dollars ont été entrainés sur les marchés financiers. Les 10.000 entreprises cotées ont absorbé cet argent. C’est alors la fin de la finance au service des entreprises, tout le système de production se financiarise" rappelle-t-il.
En 2008, c’est la crise des subprimes. On croit que le capitalisme s’effondre, mais il n’en est rien. Tout repart. Pour que la financiarisation fonctionne, il faut de la spéculation. "Pour que la spéculation fonctionne, il faut que tout le monde y croit. En 2010, on injecte dans l’économie des milliards d’euros, et on va trouver un relai de croyance, un nouvel espace de spéculation, la digitalisation. On croit alors que le digital va tout changer. Ce sont d’énormes investissements pour tout changer, mais peu de création de valeur. On détruit beaucoup plus de valeur qu’on n’en crée. On survalorise car on a besoin d’y croire. Si on n’y croit plus, le système s’effondre" conclut-il.
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