C’est une image très bien composée : en avant, trois femmes se détachent d’une foule. Elles sont nettes. Au deuxième plan, un groupe compact, tous en gilets jaunes. Ils sont flous, mais comme sur une photo de classe, ceux du premier rang sont à genoux, ceux du deuxième rang sont debout, et les autres, derrière, sont en hauteur, sans doute les pieds sur la rambarde de l’autoroute. Et à l’arrière-plan, en hauteur, une passerelle où se tiennent également des personnes en jaune. Ils occupent toute la largeur de l’image. Comme pour dire que derrière ces trois femmes mobilisées, il y en a des milliers d’autres. Et tous, toutes, regardent vers nous, nous interpellent.
Le photographe – Nicolas Tucat, de l’AFP - ne s’est pas caché, il n’a pas cherché à se faire discret. Oui, il a du demander à tout le monde de le regarder. Il a peut-être même organisé un peu l’espace. Alors pas le blocage et la mobilisation, hein ! Les gilets jaunes n’ont pas eu besoin de lui pour s’installer à Virsac, près de Bordeaux, pour bloquer la circulation sur l’autoroute. Mais enfin, il a du demander à ces femmes de s’avancer, à la foule de le regarder. En captant des regards directs, des visages plutôt souriant, dans la foule mobilisée, il créé une surprise.
Cela ne colle pas avec les débris qui jonchent le sol et qui indiquent qu’il y a eu des affrontements. Je suis passé vite dans ma description, mais sur la photo, autour de ces trois femmes, c’est le chaos : des goulots de bouteilles brisés, un sceau en métal, des pierres, des bouts de bois. Autant de signes d’un affrontement récent. Comme pour temoigner d’un mouvement hétéroclite qui s’est durci parfois.
Le photographe a mis en avant trois femmes qui représentent trois générations différentes. Elles sont le symbole des trois couches de la société française touchées par ce conflit. On a une femme de 20 ans, une femme de 50, et une dernière de 80. La jeune fille représente ces lycéens qui sont entrés dans le conflit, pour protester contre la réforme du bac et du supérieur. Elle dit aussi le côté fougueux de la jeunesse : elle a un masque pour se protéger des gaz lancés par les forces de l’ordre. Peut-être plus intrépide, elle a du aller en première ligne. La femmede 50 ans, porte un tee-shirt blanc très simple. Elle ouvre sa veste en grand, un geste qui pourrait être interprété comme "je n’ai rien à cacher", ou "on me dépouille".
La grand-mère, enfin, montre l’engagement des retraités qui se sentaient trop taxés. Mais cette femme aux cheveux blancs, ne nous dit pas que ça. Elle est en fauteuil roulant. Or, on voit très rarement des personnes en situation de handicap dans les manifestations. Cela accentue cette impression qu’il s’agit d’un mouvement qui concerne tout le monde, qu’il mobilise même ceux qui n’ont plus la force d’aller se battre, qui ne devraient pas rester dehors, à prendre froid. Et pourtant elle y est. On est même à vrai dire choqué de la voir dans un tel environnement, avec ces projectiles qui jonchent le sol au premier plan. A elles trois, elles forment un bel instantané de la société française en décembre 2018.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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