J'ai regardé des dizaines et des dizaines d’images. Des photos du président américain de face, de profil, en train de pointer son doigt vers son adversaire, en train de faire de grands gestes avec ses bras, des zooms sur sa coupe de cheveux. Des photos de son adversaire, aussi, l’ancien vice-président de Barack Obama, les deux mains solidement arrimées sur son pupitre, en train de parler, les yeux mi-clos, les poings fermés, ou la main tendue vers le ciel. Mais aucune photo n’a la force des images que l’on a pu voir à la télévision ou sur Internet. Ces images arrêtées des candidats n’apportent rien, ne disent rien, qu’un extrait du débat ne dise mieux. La vulgarité des arguments, la suffisance de l’un, le manque de hauteur de l’autre, aucune photo prise pendant le débat ne le raconte comme un échange d’insulte de quelques secondes.
Certes, pas facile pour la presse écrite de trouver une image qui puisse incarner un spectacle basé d’abord sur la parole. Brian Snyders, photographe pour l’agence Reuters y est pourtant arrivé. Il a pris une photo sur le plateau de télévision, à Cleveland, où le débat avait lieu mardi soir. Et même si elle a été prise quelques heures avant le débat, même si les deux candidats n’y apparaissent pas, elle symbolise mieux que toutes les autres le moment que traverse les États-Unis.
Des ouvriers tiennent à bout de bras un immense décor, en bois ou en carton : un aigle posé sur un bouclier aux couleurs du drapeau américain. L’aigle, c’est le pygargue à tête blanche, le seul aigle à ne voler qu’en Amérique du Nord. C’est l’emblème officiel du pays depuis sa déclaration d’indépendance. Il est posé sur la bannière étoilée, l’autre emblème du pays décrété par la loi. Les 50 étoiles représentent les 50 États qui composent le pays, les 13 bandes rouges et blanches les 13 premiers États à quitter l’Empire britannique pour former une nation indépendante en 1776.
Pour compléter le tableau, l’aigle a en plus un bandeau dans le bec "The union and the constitution forever" ("L’union et la constitution pour toujours"). Ce n’est donc pas un décor de plateau télé comme un autre. Il est gros, il prend la moitié de l’image. Il cache même les têtes des ouvriers qui le portent et tentent de le fixer sur le mur bleu. Mais si ce décor est lourd, c’est surtout de symboles ! C’est la démocratie américaine que ces hommes tiennent à bout de bras. Les bras de l’un sont tendus, les biceps de l’autre sont bandés, le troisième est perché sur une échelle pour y arriver. Si on file la métaphore, on voit que ce n’est pas évident de tenir la démocratie américaine à bout de bras…
Évidemment, quand Brian Snyders a pris sa photo, il ne s’agissait que de fixer un décor. Mais en publiant son image après les noms d’oiseaux échangés par Donald Trump et Joe Biden, elle devient un commentaire, un éditorial : la démocratie américaine n’a jamais semblé aussi mal accrochée, aussi prête à dévisser. Elle a beau être la plus vieille du monde, elle vacille et personne n’est aujourd’hui certain que la transition se passera bien, personne n’est sûr que l’élection se déroulera dans un climat apaisé. C’est sans doute donner beaucoup de sens à une simple photo d’ouvriers en train de construire un décor. Mais au moins, c’est une photo plus marquante que de simples arrêts sur image sur le candidat démocrate ou républicain.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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