Il y a quelques semaines, avant que ne commence dans notre pays l’opération "confinement général", un certain nombre de voix, goguenardes, se faisaient entendre en se demandant combien de divorces allaient être la conséquence de ce rapprochement familial forcé. Pardon de ne pas sourire avec les cyniques et de ne pas trouver amusante et légère cette question qui n’a rien d’anodine. Si j’en fais mention ce matin, ce n’est donc pas pour donner des résultats, mais pour souligner un regret et une inquiétude.
Le regret d’abord sur lequel il me semble superflu de m’attarder, c’est l’absence dans les discours officiels de la moindre empathie pour la cellule familiale que ce confinement a à la fois éprouvée et, je l’espère, renforcée. Il eut été sans doute souhaitable qu’en souhaitant bon courage à tous ceux qui allaient être sur le pont pour que la vie puisse continuer, on dise aussi quelques mots à ceux qui, d’un coup, se retrouvaient confrontés à une promiscuité inédite et sommes toutes décapante. En rappelant, par exemple que la cellule de base de toute société, c’est d’abord la famille.
L’inquiétude, elle, porte sur demain : inquiétude d’une société de plus en plus clivée, séparée... Séparation entre ceux qui continuent d’aller au bureau parce qu’ils n’ont pas le choix et ceux qui travaillent depuis chez eux, en expérimentant cette atomisation de la relation professionnelle. Séparation entre ceux qui n’ont pas le choix d’utiliser sur de longues distances des transports en commun malgré tous les efforts un peu chaotiques, et ceux qui, enfourchant leurs belles bicyclettes et en deux coups de pédales, rejoindront leur centre-ville distant de quelques centaines de mètres grâce à de belles avenues à eux seuls réservées.
Et que dire des enfants désormais perçus comme de dangereux porteurs de virus ? Des personnes âgées que l’on culpabilise à l’idée qu’elles se risquent à vouloir encore humer les parfums du printemps ? Et que dire de ces mots qui désormais constituent les incantations de nos paroles publiques : "gestes 'barrière'", "distanciation sociale", et qu’on affiche dans le moindre ascenseur, et jusque dans les toilettes ?
Et nous voilà, dehors, dans nos rues et nos boutiques, à ne plus savoir nous regarder puisque nous ne nous reconnaissons plus, en avançant masqués les uns devant les autres, les uns vers les autres. N’osant plus, même pour les plus intimes esquisser même le geste de l’amitié ou le baiser des retrouvailles...
Comprenez bien, je ne dis pas tout ceci inutile. Je m’inquiète des conséquences des mots que nous employons et des attitudes que nous adoptons. Pour les mots, on peut déjà les modifier et parler de "gestes protecteurs" plutôt que de bâtir un monde de barrières. On peut aussi évoquer la "distance physique" qui est déjà moins excluant que l’éloignement social...
Et pour le reste, il y a du boulot, comme on dit... Il y a du boulot pour mettre l’espérance là où est le désespoir, la lumière là où sont les ténèbres, la joie où est la tristesse... Éviter que l’homme ne divorce d’avec l’homme : voilà quelle pourrait être la mission de ceux qui veulent que la fraternité ne soit plus simplement une forme d’idéal incantatoire, mais la réalité de notre société.
Oui il y a du boulot, et ça tombe bien puisque nous voici dans le temps où nous sommes tous convoqués à implorer l’Esprit Saint qui nous rendent inventifs, fidèles, forts, en un mot "disciples".
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