C’est une photo qui a tout de suite fait réagir. Les internautes ont commenté : "Voilà une image iconique", "c’est une photo qui restera culte". Pourquoi ? D’abord, parce qu’elle est claire, extrêmement lisible. Une femme se tient un genou à terre, devant une rangée de policiers. L’image est comme coupée en deux. À droite, une rangée infinie d’agents de police, bâton à la main, pistolet à la taille, dock aux pieds, casque avec visière sur la tête. Le premier policier de la rangée est flou, on ne voit qu’un bâton menaçant. Le dernier de la file se perd au loin. Ils ont l’air très nombreux. À gauche, face à eux, on a une femme seule. Elle en jean et tee-shirt blanc, elle est fine, elle est noire, elle est jeune. Elle a un port de tête altier, elle cherche à planter son regard dans celui des forces de l’ordre, mais les agents regardent en l’air, bien au dessus d’elle.
La photo est politique bien sûr : il y a une personne seule face à une multitude, il y a une femme face à des hommes, il y a une personne désarmée face à des gardes très équipés, il y a une personne en position d’humilité face à d’autres prêts à en découdre. C’est la réalité, mais c’est évidemment une photo qui prend partie… Et qui rappelle une autre photo qui prenait position, une photo culte, celle de la jeune fille à la fleur à Washington en 1967. C’était un autre combat : celui des étudiants contre la guerre du Vietnam. Mais la photo de Marc Riboud a fixé pour l’éternité un classique de l’iconographie de manifestation : la jeune fille innocente qui brandit une fleur à des CRS bardés d’armes à feux. C’est ce même type de face à face qu’on retrouve ici à San José, en Californie, cette même mise en avant d’un faible qui se sent soudain suffisamment fort pour tenir tête, avec calme et sérénité, aux puissantes forces de l’ordre. C’est la deuxième raison du succès de cette image : elle nous en rappelle une autre.
Elle met un genou à terre. C’est un geste que l’on voit sur beaucoup de photos. Le candidat démocrate Joe Biden a mis un genou à terre devant un Afro-Américain. Des policiers, des militaires, ont mis un genou à terre en signe d’apaisement et de solidarité avec les manifestants. Se mettre à genoux aujourd’hui rappelle les prières publiques des manifestants pour les droits civiques d’hier. Cela fait écho aux images de Martin Luther King qui pria dans les rues de Selma en mars 1965. Un symbole de sa lutte non-violente pour la justice, l’égalité et la dignité. C’est un geste qui est revenu à la une de l’actualité en 2016 quand un joueur de football américain s’est agenouillé pendant l’hymne national, quand les autres se tenaient debout la main sur le cœur. Il voulait dénoncer encore les violences policières envers les populations noires. Cela lui a coûté sa carrière : il n’a plus rejoué, les Républicains y ont vu un geste antipatriotique.
Notre œil a besoin de retrouver des éléments connus même dans l’imprévu, de retrouver des motifs anciens dans les soubresauts actuels. Cela permet d’inscrire l’actualité dans l’Histoire. On aimerait croire qu’elle avance, l’Histoire. Mais malheureusement pour les Noirs-Américains, la marche commencée sur un pont de Selma, dans l’Alabama, semble ne jamais devoir trouver de conclusion.
Chaque vendredi dans la Matinale RCF, David Groison commente une photo de presse.
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