A l’approche de la Toussaint, Hilaire Bodin interroge la tendance contemporaine à oublier et/ou effacer la mort de nos vies
Hilaire, la semaine dernière à la fin de votre intervention, ,vous avez effleuré la question de la mort. Je vous pose la question essentielle qui nous concerne tous, pensez-vous que la mort puisse avoir du sens ?
C’est bien la question essentielle. La mort, notre future mort, voilà le sujet qui donne le vertige. D’autant plus qu’ au fil des décennies depuis la dernière moitié du XXème siècle, elle est devenue un sujet totalement tabou. Notre société de consommation ne valorise que ce qui est neuf, jeune et resplendissant. La mort est hors-jeu, elle est source d’ une angoisse indicible, inexprimable. Je dirais même de terreur pour beaucoup d’entre nous.
C’est normal que la mort nous terrorise, vous ne pensez pas ?
Non, car autrefois, elle faisait partie de la vie. Lorsque j’étais enfant, quand la mort frappait une maison, les proches arrêtaient la pendule à l’heure de la mort. La personne décédée était accompagnée par ses proche chez elle, nuit et jours, sur son lit de mort lui-même entouré de bougies. Des tentures étaient suspendues au-dessus de la porte d’entrée, la famille, les voisins, les amis venaient, tous, rendre une dernière visite avant la mise en bière. Le jour de la cérémonie, les proches portaient le cercueil sur leurs épaules dans l’église et au cimetière. En signe de deuil, les femmes s’habillaient en noir pendant plusieurs mois ou années, les hommes portaient un brassard noir sur l’avant-bras. La tombe était régulièrement visitée et fleurie à chaque année, pour la Toussaint ou le 2 Novembre, le jour de la fête des morts.
Aujourd’hui, la mort est oubliée, effacée de nos vies. Alors, nous n’observons plus aucun signe de deuil, ni dans l’habitation, ni dans les vêtements. La personne décédée est installée discrètement dans un salon funéraire, les pompes funèbres s’occupent de tout. Il n’est évidemment pas question de porter le cercueil, mais plutôt de se faire incinérer, c’est plus discret et ça prend moins de place. Si on souhaite se faire oublier… on peut aussi faire disperser nos cendres dans le jardin du souvenir, si ce n’est dans l’océan.
Nous pouvons envisager que demain nous devenions très vieux, ridé, invalide ou peut-être sénile. Alors si nous anticipons la honte de ne plus être très présentable nous pouvons rédiger la directive écrite suivante: « Si je n’arrive pas à me suicider seul, je vous en prie aidez-moi, je ne voudrais pas vous encombrer de ma présence. Vous avez tellement de choses plus intéressantes à faire qu’aimer et accompagner un vieillard ». Ça s’appelle l’euthanasie et ce sera bientôt légal.
Dans cet état d’esprit, s’il le pouvait, la personne décédée s’exprimerait ainsi : « Excusez-moi de mourir, je ne voulais pas vous déranger, continuez à vivre votre vie, prenez vos vacances, ne vous préoccupez pas de moi, oubliez-moi, rassurez-vous, je n’ai laissé aucune trace derrière moi. Voilà notre rapport à la mort, aujourd’hui………. !
C’est saisissant et glacial, Comment expliquez-vous ce changement anthropologique ?
Depuis que l’humanité est consciente de sa finitude, depuis que les hommes savent qu’ils sont mortels, ils ritualisent, sacralisent et organisent des cérémonies lors de la mort d’un proche. Depuis 5000 ans, toutes les religions connues donnent un sens à la mort. Mort qui est en général le moment du passage vers un autre lieu. Par contre, pour notre société matérialiste et athée, la mort est moche et insensée donc impensable ! Néanmoins, Je dirais… qu’elle l’était jusqu’à l’épidémie du COVID 19.
En effet lors du 1er confinement en Mars 2020, nous avons, tous, été sidérés que l’état nous autorise à aller au supermarché, mais nous interdise de voir, approcher, toucher nos proches mourants. Ce fut un traumatisme, pour ceux qui y furent confrontés. Là, nous avons réalisé que penser notre présence auprès de nos proches mourant était essentiel, au maintien de notre humanité.
Vous pensez que la mort aurait un sens fondateur de notre humanité ?
Du virus à l’éléphant, du papillon à l’homme la vie est mystérieuse et exubérante. Tout ce qui vit mute, se métamorphose…et meurt. C’est fantastique de faire partie du cycle de la vie, mais aimer la vie en conscience nous oblige à accepter notre mort. A la fin lorsque notre vie sera accomplie, nous pourrons partir en paix et laisser place aux générations nouvelles.
C’est la conscience de notre fragilité et de notre finitude qui intensifie et densifie notre vie et fonde notre humanité. C’est l’amour, de nos petits enfants qui peut nous aider à transcender notre propre mort. Nous savons intuitivement, intimement, viscéralement que la mort ne pourra nous séparer de ceux que nous aimons.
Les religions millénaires offrent une ouverture existentielle qui permet de surmonter le paradoxe de l’amour et de la mort. La vision chrétienne ouvre la perspective de notre propre résurrection, derrière celle du christ. Accueillons en confiance le mystère de notre mort.
Personnellement, je ressens que la mort est le passage obligé vers la lumière divine. La vieillesse est le tremplin vers cette nouvelle expérience. Ainsi, il est possible d’être joyeux et fier de cheminer sur cette voie-là et accueillir son apothéose : la mort.
Chaque semaine, Hilaire Bodin nous offre une réflexion tendre et parfois caustique sur le statut de retraité et la place des anciens dans notre société.
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