Les politiques et professionnels de la santé sont nombreux à présenter la consommation d'écrans comme "un problème de santé publique majeur". Des addictologues de Bordeaux ont réalisé une étude locale afin d'évaluer - sur base de critères médicaux - la prévalence d'une addiction possible aux écrans.
Si le pourcentage de patients réellement touchés par un comportement addictif est rare, le nombre de personnes concernées par un mésusage de ceux-ci est élevé !
Le Professeur Marc Auriacombe, et son attaché de recherche Jean-Marc Alexandre, plaident pour la mise en oeuvre de recommandations d'usage à destination du grand public, au micro de Yves Thibaut de Maisières.
Marc Auriacombe : on parle de problème de santé publique quand on estime qu'un comportement qui associe ou pas l'usage de substances ou d'objets, est associé à des répercussions sur la santé du fait de ces propriétés intrinsèques toxiques. L'addiction, c'est une dérégulation de l'utilisation d'un certain nombre d'objets qui ont en commun des sources d'agrément, de plaisir. Quand cette dérégulation survient, elle va avoir pour conséquence un usage excessif menant à des effets toxiques.
Un autre exemple, c'est l'alcool. Il est possible de faire usage d'alcool sans avoir d’addiction ; même sans addiction à l'alcool, si j’en prends je peux être ivre et avoir un accident. Donc je peux avoir des dommages, des répercussions de santé publique par le simple usage de l'alcool. C'est ce qu'on trouve pour les écrans. Les personnes qui ont une addiction ont perdu le contrôle en raison de l’usage excessif. Par conséquent, elles subissent plus de conséquences négatives. Voilà exactement la trilogie de l'addiction (perte de contrôle, craving et rechute). Le souci du comportement addictif fait que la personne ne peut pas ajuster son comportement aux conséquences qui s’accumulent. Dans le centre de soins où nous consultons - qui accueille des personnes pour tout type d'addiction - qu'il s'agisse de comportement ou de substance, la part des troubles liés aux écrans tourne autour de 5%.
Existe-t-il une différence entre l’addiction aux écrans tournée vers les jeux vidéo et celle tournée vers les réseaux sociaux ? Dans les deux cas, ne s'agit-il pas d'une utilisation intensive des écrans ?
Jean-Marc Alexandre : il vaut mieux percevoir l'addiction comme un phénomène unifié qui est indépendant de son objet. Qu’il s'agisse d'une substance ou d'un comportement, les critères que vous allez rechercher pour repérer la maladie, la diagnostiquer et ensuite établir une prise en charge vont être extrêmement proches de ce que sont les critères de l'addiction : la perte de contrôle, le craving (l'envie irrépressible, envahissante de consommer alors qu'on ne souhaite pas le faire) et puis la rechute.
Par ailleurs, il y a des critères périphériques liés aux conséquences de l'addiction qu’il faut prendre en charge dans les diagnostics. Dans la conception de l’addiction qui a changé ces dernières années, on est passé d'une vision centrée sur les objets avec des phénomènes de sevrage qui étaient mis au premier plan, à une maladie qui va s'exprimer au travers des objets. Ce n’est pas la même chose. D’autre part, ce phénomène explique aussi une compensation qui se dirige d’un objet à un autre pour le patient.
J-M A. : c'est un résultat qui est vraiment intéressant. Cette étude se fonde sur une enquête de terrain, réalisée au sein de la population. Quand on regarde le diagnostic de l'addiction, c'est effectivement 1,7%, ce qui peut paraître peu au regard d'autres addictions comportementales. Avec ce chiffre, on se rapproche de la prévalence de l'addiction au jeu d'argent dans la population.
La part des personnes qui ont au moins un critère au cours de l'année écoulée, de façon répétée, chronique et préoccupante atteint 45% ! Cette expérience illustre bien la plainte qu'on entend fréquemment : à savoir que beaucoup disent « je n'ai pas de problème avec les écrans », et d’autre part vous avez ce petit groupe de personnes 1,7% de personnes atteintes d’addiction aux écrans. Si on accompagne ces derniers en leur donnant simplement des conseils d’utilisation plus responsables, ils ne pourront pas les exercer facilement, le défi sera trop grand pour eux.
Ce qui nous manque, ce sont des recommandations, un mode d'emploi pour montrer ce qu'est un bon usage !
M A. : l'utilisation des écrans fait partie de la vie quotidienne. Un exemple comparable et intéressant est celui de notre consommation de sucre ; tout le monde ne développe pas une addiction au sucre, de la même façon que tous les individus n'ont pas un usage problématique des écrans. L'addiction est une “maladie” qu’on attrape, ou pas. Une fois qu'on l'a, elle va avoir un parcours durable et long.
Les écrans sont maintenant répandus partout, pour tous les actes de la vie quotidienne. Ce qui nous manque, ce sont des recommandations, un mode d'emploi, montrer ce qu’est un bon usage. À partir du moment où il y aura des règles communes établies, les gens les appliqueront, à mon avis. Si l’on compare avec l’évolution de la conduite automobile, à une époque la vitesse n'était pas régulée ; chacun ajustait de lui-même sa vitesse, et puis les règles et les recommandations sont arrivées.
Il me semble que la population est demandeuse d’un cadre. Les parents sont demandeurs et les enfants le sont également parce qu'ils trouvent que les premiers leur imposent trop de restrictions. Je crois que dans de nombreux pays, il y a des commissions ou des groupes qui travaillent à faire des propositions, des recommandations, d'un bon usage des écrans. Par exemple : comment avoir une utilisation adéquate des écrans sans avoir les répercussions sur la santé, ou sur les échanges familiaux et sociaux ?
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