Dans cette chronique, Hilaire Bodin nous parle de ses visites en Ehpad et de sa rencontre avec des nouveaux amoureux âgés de 95 ans.
Oui, une fantastique histoire d’amour dont, je suis témoin en ce moment.
Depuis le seuil de mes 75 ans, j’ai décidé d’aller à la découverte de ce que pourrait être mon futur, quand je serai vraiment vieux et que je m’approcherai de la mort. Afin de préparer cet avenir, sans angoisse inutile, je veux me familiariser dès aujourd’hui avec ce que pourrait être, demain. Je désire, dès aujourd’hui approcher la façon dont vivent les octogénaires, nonagénaires et les centenaires. Je les écoute, j’éprouve leurs préoccupations. Je souhaite que ma disponibilité soit pour eux un moment de vraie présence contribuant, pour certain, à apaiser leur sentiment de solitude-isolement et pour d’autre un temps de joie réciproques et partagées. Pour réaliser ce projet en ayant les compétences nécessaires, en 2020, j’ai participé à un cursus de formation de bénévoles à l’accompagnement organisé par l’association JALMALV. (Jusqu’à la mort, accompagner la vie). Je partage l’éthique de cette association qui en collaboration étroite avec les professionnels des soins palliatifs accompagne les personnes en fin de vie afin qu’elles soient conscientes que leur dignité est inaliénable, aussi fragile et démunies soient-elles. La présence de citoyen-accompagnants de JALMALV leur rappel qu’elles sont vivantes et dignes d’intérêts jusqu’au dernier souffle. Ces actes d’une présence solidaire peuvent métamorphoser une fin de vie.
Aubéri, vous avez bien compris, l’association JALMALV intervient aussi bien, en hôpital, clinique, soins de suite et EPHAD, enfin dans tous les lieux ou des personnes fragilisées par la maladie ou/et l’approche de la mort souhaitent échanger, dialoguer, ou désirent éprouver une présence chaleureuse et disponible. Ainsi j’assure, tous les 15 jours, un accompagnement dans un EHPAD de l’agglomération mancelle. Je vais vous présenter trois situations vécues soit trois histoires. Dans une chambre dépouillée sans photos et sans objet personnel, Juliette est assise dans son fauteuil. Elle est squelettique, sa peau est blanche est diaphane, son regard est lointain et absent. Silencieuse, elle ne répond pas à mes questions lors de mes deux premières visites. A ma troisième visite elle est alitée, mais pour la 1ére fois, elle m’exprime un peu d’intérêt, sourit lorsque j’arrive et me dis « Au revoir ». Les visites suivantes, elle est toujours dans son lit, silencieuse, mais semble plus éveillée. Lors de ma sixième visite, je lui poser la main sur le bras, j’ose lui caresser le bras. Recherchant son souffle, elle me dit : « Je n’ai pas eu d’enfants, j’ai eu 2 neveux Girard et Julien que j’ai gâté. Aujourd’hui, ils ont leur vie et ne viennent jamais me voir » Elle me regarde partir avec un sourire tragique et un au revoir reconnaissant. Lucienne à 98 ans, elle se déplace lentement et péniblement. Son regard bleu et lumineux éclaire un grave et joli visage. Elle est belle, accueillante, et s’exprime avec aisance. « Je ne vois presque plus, je suis privé de cette lecture que j’aimais tant. Je me sens seule, mon mari est parti, il y a 2 ans, avant c’était plus facile nous jouions aux dominos ensemble. C’est long la fin de vie, vous savez. J’espère ne plus être là quand vous reviendrez dans 15 jours » . Interloqué, je ne sais quoi répondre. Je serais content de vous revoir » lui-dis-je. A chaque visite, l’échange est fluide et elle me questionne sur ma vie. Chaque fois que je la quitte, on départ est accompagné d’un large et triste sourire empli de tendresse mélancolique semblant dire « Vous voyez, je suis encore là ».
Malgré l’attention d’un personnel dévoué la fin de vie dans l’isolement d’un EHPAD est souvent assez triste mais pas toujours. Bernadette est une belle et dynamique femme de 95 ans, elle ne peut plus se déplacer seule, mais est capable de quitter son fauteuil sans aide. Dès notre 1ére rencontre, elle m’exprime sa joie de ma présence. « J’ai quitté Bordeaux sous les bombardements en 1942. Depuis je suis toujours resté au Mans, j’ai eu une belle vie des enfants et un mari aimant » puis, brusquement, elle fond en larme, s’excuse et me dit « Ils sont tous bien occupés, certains jours ça va d’autre j’ai envie de pleurer » Lors de ma troisième visite son voisin de chambre, Auguste 95 ans est là, tout près d’elle. En me voyant, elle le convie discrètement à quitter sa chambre. La visite suivante Auguste est à nouveau là. Elle me dit : « il vient de temps en temps me voir, le temps passe plus vite et, il est tellement gentil ». La visite suivante, elle m’avoue : « Je suis très heureuse quand mon chatou est là ». « il est beaucoup plus intelligent, que moi et il a beaucoup voyagé ». Lui me dit : « Fils de pauvre, j’étais toujours le 1er en classe, les fils de gros propriétaires étaient jaloux ». Elle lui caresse la main, lui fait des bisous sur les mains sur le front, il lui caresse la cuisse, ils penchent leur tête l’un vers l’autre, front contre front. Elle me dit « je l’aime, mais ce n’est pas pareil que les amours de jeunesse ».« Et toi, tu pourrais te passer de moi ?» lui demande-t-elle. En silence, Il lui lance un regard joyeux, tendre et mélancolique. Un sourire se dessine sur ses lèvres, puis il lui glisse un furtif baiser sur la bouche. Telle a été sa réponse. « Notre amour est plus complet qu’un amour de jeunesse » conclut-elle radieuse. Quelle merveilleuse leçon de vie. C’est merveilleux de réaliser qu’a 95 ans en, L’EHPAD peut être le lieu d’une belle histoire d’amour. |
Chaque semaine, Hilaire Bodin nous offre une réflexion tendre et parfois caustique sur le statut de retraité et la place des anciens dans notre société.
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