Bernard Friot, sociologue français connu pour avoir théorisé la notion de “salaire à vie”, a la particularité de se proclamer ouvertement et catholique et communiste. De passage en Belgique pour exposer ses idées développées dans l’ouvrage “En travail. Conversation sur le communisme” (La Dispute, 2021), il nous a rencontré le 2 mai à l’UOPC pour détailler la manière dont il allie le charisme du Christ avec la pensée de Marx, et se confronter aux questions que peuvent soulever une telle combinaison.
« Mon problème n’est pas de critiquer, la polémique ne sert à rien. Je suis dans la proposition permanente » clame Bernard Friot à notre micro. Et de fait, son objectif est clair : formuler une alternative au capitalisme qui ne soit pas une simple opposition, mais une proposition désirable ancrée dans le présent. « On ne demande pas à un biologiste de dire c’est que la mort, on lui demande de dire ce qu’est la vie, affirme le chercheur en sciences sociales. Je ne suis pas un révolté du tout, je suis un épieur de la vie en train de surgir partout et toujours ».
La vie éternelle, c’est le présent permanent, et le présent c’est ce qui transforme la réalité en réel, c’est-à-dire qui transforme les rapports sociaux, qui transforme l’immuable en inouï
Particularité de l’auteur : combiner dans le discours des éléments de langage issus tant de la tradition chrétienne que marxienne. Investir le présent, c’est d’abord se « libérer du paradis », c’est-à-dire de la promesse d’un après-demain idyllique, afin de reconnaître aujourd’hui le « déjà-là » communiste et contribuer à son extension. Car le paradis, selon Bernard Friot, n’est pas la vie éternelle dont le Christ est le témoin. « La vie éternelle, dit notre invité, c’est le présent permanent, et le présent c’est ce qui transforme la réalité en réel, c’est-à-dire qui transforme les rapports sociaux, qui transforme l’immuable en inouï ». Agir à l’instant donné, explique le sociologue, émancipe l’individu de l’inquiétude sans pour autant le livrer à l’indifférence. « Pourquoi est-ce que je suis un type parfaitement heureux ? Parce que je vis dans l’éternité. Aucune nostalgie du passé, aucune attente du futur. C’est la densité du présent qui fait qu’en permanence j’actualise tout ce dont j’hérite, je le fais advenir dans son inouï. Mais ce n’est pas un geste individuel. Ça ne peut être que collectif, à l’échelle internationale. Et c’est pour cela qu’il y a du travail », développe-t-il.
Plus concrètement, notre invité insère sa proposition dans une histoire en construction. Car son communisme n’est pas un vague souhait naïf, mais bien la poursuite, en acte, de l’émancipation. « Le geste communiste que nous sommes en train de créer, détaille-t-il, c’est ce qu’a fait la bourgeoisie quand elle était classe révolutionnaire. Elle dit que les humains naissent libres et égaux en droits. C’est une affirmation qui pose toute personne majeure en capacité et en responsabilité de la chose publique. Nous sommes en train de faire le même geste mais en incluant le travail dans la chose publique ». Le communisme que présente Bernard Friot, c’est donc un ajout : celui de la responsabilité économique à une responsabilité déjà acquise, notamment par le suffrage universel, à savoir la responsabilité civique. « L’enrichissement de la citoyenneté qu’apporte la construction du communisme, poursuit-il, c’est le fait que de 18 ans à notre mort nous soyons postulés comme en capacité et en responsabilité de décider de la production ».
Le salaire lié à la personne exprime la même responsabilité que la parabole des talents : nous sommes en responsabilité de cette formidable œuvre de l’évolution qui fait ce que nous sommes aujourd’hui
Ici émerge la thèse qui a fait la célébrité de son auteur : Bernard Friot défend que la responsabilité économique doit être signifiée par un salaire, non pas associé à la tâche – ce que fait le capitalisme – mais à la personne : « le salaire lié à la personne exprime la même responsabilité que la parabole des talents : nous sommes en responsabilité de cette formidable œuvre de l’évolution qui fait ce que nous sommes aujourd’hui ». Si le chercheur estime qu’une telle révolution dans l’organisation du travail est possible, c’est qu’elle existe déjà, par exemple, à travers le statut de fonctionnaire. D’où la nécessité d’étendre ce qui existe plutôt que de rêver d’un au-delà. « Le Christ passe son temps à mettre en mouvement, ce sont des paralytiques qui prennent leurs grabats et qui marchent, c’est un aveugle qui voit, c’est un sourd qui entend. C’est en permanence ça le Christ, ça n’est pas de la révolte, c’est le surgissement de la vie. Moi comme chercheur en sciences sociales, ma responsabilité c’est d’épier l’émancipation », conclut-il.
Liens utiles :
https://ladispute.fr/catalogue/en-travail-conversation-sur-le-communisme/
https://www.editionstextuel.com/livre/un_desir_de_communisme
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