Il s'agit de l'un des lieux les plus tragiques de l’histoire de l’architecture, la Cité de la Muette à Drancy. Ce bâtiment, situé en Seine-Saint-Denis à quelques kilomètres de Paris, est d’abord un lieu tragique de l’histoire tout court.
De 1942 à 1944, le camp de Drancy fut la plaque tournante de la déportation des juifs vivant en France. 63.000 juifs ont été déportés depuis Drancy. Sur les 74 convois partis de France vers les camps d’extermination nazis, 62 sont partis de Drancy.
Mais comment s’était créé le camp de Drancy, dans quels lieux a-t-il été installé ? C’est là où l’on peut parler d’une tragédie de l’histoire de l’architecture. Une exposition présentée actuellement au Mémorial de la Shoah de Drancy permet de le comprendre. Au départ, la Cité de la Muette, c’était un projet très innovateur dans le domaine du logement social, lancé en 1930. Il s’agissait d’offrir des appartements confortables à des personnes vivant jusque-là dans l’insalubrité.
L’Office d’habitations à bon marché du département de la Seine confia ce programme de 1 250 logements à deux architectes audacieux, Eugène Beaudouin et Marcel Lods, précurseurs de la préfabrication des bâtiments et de l’utilisation du métal dans la construction. C’est ainsi que la Cité de la Muette fut notamment dotée de cinq tours de 15 étages qui furent à l’époque présentées comme les premiers gratte-ciel français.
La livraison des premiers bâtiments a hélas coïncidé avec la crise économique consécutive au krach boursier de 1929. Les logements n’ont pas trouvé preneurs. Plusieurs immeubles sont restés inachevés, notamment un vaste édifice en forme de U, haut de quatre étages, long de 200 mètres et large de 40 mètres. Sa vocation initiale était d’offrir au rez-de-chaussée, des services publics et des commerces. En somme, une sorte d’agora pour les habitants de la cité. Elle allait devenir un enfer.
Après la défaite de 1940, le bâtiment en U, facile à isoler par une clôture de barbelés, a été transformé en camp pour les soldats français prisonniers. 80 chambrées ont été installées sur les plateaux des étages. Puis, en 1941, ce fut un camp d’internement pour les juifs et, enfin, un camp de transit vers la déportation. Il faut noter que, de l’été 1941 à l’été 1943, le camp fut administré par les autorités françaises avant que les Allemands ne prennent la main.
Drancy a d’abord été un lieu de détention pour plusieurs milliers de collabos français. Puis, en 1946, l’architecte Marcel Lods a repris son chantier, transformant le bâtiment du camp en logements sociaux, comme prévu à l’origine. Personne alors ne s’est posé beaucoup de questions. Ni sur une architecture qui s’était si bien prêtée à un usage concentrationnaire, ni sur le fait d’effacer les traces de cette tragédie.
Le temps de la mémoire est venu beaucoup plus tard, à partir des années 1970, aboutissant à la construction du Mémorial inauguré en 2012. Le bâtiment en U a été classé en 2001. Il est toujours utilisé comme HLM, habité par une population particulièrement défavorisée.
Exposition Les gratte-ciel oubliés de la cité de la Muette
Jusqu’au 6 mars
MÉMORIAL DE LA SHOAH, DRANCY
(110-112, avenue Jean-Jaurès - 93700 Drancy)
Chaque mardi à 8h45, Guillaume Goubert et Simon de Monicault présentent une exposition ou un événement qui raconte l'histoire de l'art.
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