Aujourd’hui, Marque Page vous présente de 2 bandes dessinées sorties cette année et un roman paru il y a déjà 2 ans. Leur point commun est leur titre puisque l’on y retrouve un unique prénom : celui de leur héros ou héroïnes. Nous allons donc tour à tour vous présenter Lucien, Céleste et Betty …
Lucien de Carayol et Senegas chez Delcourt
Lucien est le gentil balayeur du parc de la petite ville où il vit. C’est un virtuose de la feuille morte, un poète de la bourrasque qui aime les choses simples. Son existence est réglée comme du papier à musique. Il ne veut surtout pas que ça change. Mais on ne le sait que trop, la vie fait ce qu'elle veut. Un jour, au cœur même du parc, tout va imploser, voilant d'une teinte sombre le destin de Lucien…
Guillaume Carayol au scénario, accompagné de Stéphane Sénégas aux pinceaux, donne ainsi vie à ce drôle de personnage, qui vous le verrez, est bien plus complexe qu' il n’y paraît. L’illustrateur ici s'éloigne d'Anuki, son personnage phare, petit indien bien connu des plus jeunes, et signe avec Lucien un album résolument adulte et profondément humain, une œuvre à la croisée des styles et des genres. Lucien débute sur une poésie et une chronique de vie quotidienne digne de Sempé pour finir aussi bien visuellement que dans le propos vers Blast, le chef d'œuvre de Manu Larcenet (même s’il faut admettre qu'on n'atteint pas les sommets de ce dernier). Cependant, nous pouvons saluer le travail de ces auteurs pour cette BD où la noirceur répond aux rayons de soleil qui heureusement croisent tout de même un peu la vie de notre balayeur.
Coup de coeur BD
Céleste de Chloé Cruchaudet chez Soleil
À l'occasion du centenaire de la mort de Marcel Proust, ce diptyque, signé Chloé Cruchaudet, repose sur une structure en miroir et s'intéresse au lien qui unit Céleste Albaret et l'écrivain de génie.
Grâce à de multiples sources, Chloé Cruchaudet tisse le portrait dévoué et passionné de Céleste Albaret, gouvernante et parfois secrétaire de Marcel Proust jusqu'à sa mort, en 1922. Elle révèle leur lien, l'écrivain sous toutes ses aspérités, l'atmosphère d'une époque et les dessous de la construction d'une fiction. Monde réel et monde fantomatique s'entremêlent pour nourrir ce sublime diptyque.
L'auteur d'A la recherche du temps perdu est donc au centre de ce diptyque, Céleste dont est paru au mois de juin, la première partie. Plus de 100 pages signées Chloé Cruchaudet, qui avec intelligence, pose la caméra non pas sur l'écrivain, mais sur celle qui fut sa gouvernante et même secrétaire : Céleste Albaret [...] Le récit alterne le présent de la narration, en 1956, où l'on retrouve une Céleste âgée qui regarde par la fenêtre de son logement. La vieille dame reçoit une visite d'antiquaires, spécialisés dans la vente d'objets ayant appartenu à des grands noms. Céleste commence alors à leur donner divers objets et leur raconte leurs histoires ou plutôt son histoire et débute ainsi le récit de sa propre vie. Alors qu'elle n'avait qu'une vingtaine d'années, son mari qui était en effet le chauffeur de Marcel Proust qui au cours d’une discussion lui fait une proposition : qu'il demande à Céleste si elle serait intéressée pour porter ses colis. Quelque peu effrayée, la jeune femme qui ne sait absolument rien faire nous dit-on, accepte la proposition. C’est ainsi qu’elle entre au service de Monsieur Proust en 1913, tout juste âgée de 21 ans. Vous verrez par la suite comment elle devient importante auprès du célèbre écrivain.
Tout comme l’écrivain joue sur le sensoriel, Chloé Cruchaudet adopte en quelque sorte la même façon de faire en plongeant Céleste dans ses souvenirs, la faisant parcourir sa mémoire, son monde intérieur. Permettant à l’autrice de nombreuses et réussies séquences de souvenirs ou d’impressions fugaces et fantomatiques qui se mélangent et se rejoignent. Pour Chloé Cruchaudet, A la Recherche du temps perdu peut être savoureusement drôle, tant le personnage principal peut être parfois ridicule, voire burlesque, et à côté de cela, il y a de tels moments de grâce qu’on se sent comme Céleste emporté par la maestria de l’auteur… Ce que Chloe Cruchaudet a parfaitement retranscrit dans ses planches alternant moments burlesques et enjoués entre Céleste et Marcel Proust et moments portés par une mise en scène exemplaire autour des mots du romancier. [...] Nous avons, ici à Marque Page, été totalement conquis par cette première partie de Céleste. Un ouvrage, fin et élégant à l’image de son graphisme tout en délicatesse. La simplicité de son trait nous fait tout à fait ressentir les émotions de ses personnages. Mais trait simple ne veut pas dire simpliste et les décors sont également bien croqués : Paris et ses calèches, la côte normande, tout est parfaitement restitué ainsi que les costumes de nos personnages. A l’image de certains passages fantasques avec l’écrivain, l’autrice sait jouer de ses planches et offrir des mises en pages aux cadrages audacieux et constamment inventif : on ne s’ennuie pas une seconde et ce n’est pas les planches muettes qui viendront nous contredire : il n’y a parfois pas besoin de mots quand le dessin se fait évidence. Bien sûr les mots de l’écrivain ne sont pas oubliés et forment à chaque occasion de belles séquences, les mettant en valeur. Et n 'oublions pas de parler de la mise en couleur, avec l’aquarelle parfaitement en adéquation avec son dessin, Chloé Cruchaudet, nous transporte et nous fait respirer. En ne mettant pas Marcel Proust au centre de cet hommage pour célébrer le centenaire de la disparition du célèbre auteur, Chloé Cruchaudet réussi un double pari, celui de nous faire découvrir une femme à qui l’auteur d’A la recherche était particulièrement attachée mais aussi de nous enivrer des mots de l’écrivain comme l’est son personnage lors de sa découverte de ces derniers, nous donnant envie de découvrir la suite avec impatience.
Coup de coeur roman
Betty de Tiffany McDaniel chez Gallmeister
“Ce livre est à la fois une danse, un chant et un éclat de lune, mais par-dessus tout, l’histoire qu’il raconte est, et restera à jamais, celle de la Petite Indienne.”
La Petite Indienne, c’est Betty Carpenter, née dans une baignoire, sixième de huit enfants. Sa famille vit en marge de la société car, si sa mère est blanche, son père est cherokee. Lorsque les Carpenter s’installent dans la petite ville de Breathed, après des années d’errance, le paysage luxuriant de l’Ohio semble leur apporter la paix. Avec ses frères et sœurs, Betty grandit bercée par la magie immémoriale des histoires de son père. Mais les plus noirs secrets de la famille se dévoilent peu à peu. Pour affronter le monde des adultes, Betty puise son courage dans l’écriture : elle confie sa douleur à des pages qu’elle enfouit sous terre au fil des années. Pour qu’un jour, toutes ces histoires n’en forment plus qu’une, qu’elle pourra enfin révéler.
D’abord nomade, voyageant d'État en État à la recherche d’une terre hospitalière, les Carpenter finissent par s’installer dans l’Ohio, au pied de collines verdoyantes. Ici l’accueil qu’on leur réserve est le même que partout où ils ont posé les pieds jusqu’alors : ils seront rejetés, moqués, montrés du doigt et maltraités, en particulier Betty, de par les traits hérités de son père. Mais ce que ce dernier lui a également transmis, et transmettra tout au long de sa vie : c’est la beauté et l’amour et surtout le lien qui l’unit à ses ancêtres. Quelque soient les épreuves qu’ils traversent, Landon n’aura de cesse de rappeler à Betty sa filiation et son histoire, l’histoire de ces indiens ou plutôt ces indiennes car son père le dit et le répète, le pouvoir chez les Cherokee était détenu par les femmes et Betty doit le prendre à son tour, ou tout du moins s’en inspirer. Et c'est ce qui sauve notre petite fille des insultes de ses congénères et des tourments familiaux : cette danse indienne, cette poésie vitale à laquelle elle s’accroche et qu’elle nous partage au fil des pages. Tout comme son amour de la terre qu’il faut choyer si l’on veut qu’elle nous le rende, et son respect des êtres vivants qui l’entourent, qu’il faut savoir apprivoiser si l’on veut pouvoir les côtoyer sans craintes. Betty la petite indienne grandit, entourée de ces mythes et mystères qui la protège, comme le protège ce père tant aimé et aimant qui soignent les maux comme il soigne les gens : bien que pestiféré, tous les habitants de la ville viennent chercher chez lui des décoctions aux nombreux pouvoirs dont lui seul connaît le secret et qu’il transmettra à ses enfants. [...] Dernière de la lignée des puissantes femmes Cherokee, notre petite indienne pourrait-elle être celle qui dit non, brisant des années de silence et de malédiction ? C’est tout le propos de cet ouvrage où se mêlent drames et résilience et où la poésie répond à la violence. Ici les mots pansent les blessures d’une héroïne qui, page après page, devient universelle.
Programmation musicale :
Cherokee, Cat Power (Sun)
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