S’il a la nationalité américaine, le cinéaste James Gray est d’origine russe et juive par sa famille paternelle qui a fui l’Empire russe en 1920, au moment de la guerre civile, pour s’établir à New York.
Il grandit dans le Queens, un quartier plutôt pauvre et morose. Assez taciturne, l’enfant James Gray sèche les cours pour aller au cinéma, découvrir des films de Coppola, Scorsese ou Spielberg, avant de se tourner vers le cinéma européen, séduit par Fellini, Visconti et les réalisateurs de la Nouvelle Vague française.
C’est plus tard qu’il découvre Little Odessa, le quartier des immigrés juifs ukrainiens. « Little Odessa » sera d’ailleurs le titre de son premier film, qu’il tourne à l’âge de 25 ans. Un film qui lui vaudra le lion d’argent à la Mostra de Venise, en 1994, et le révèlera aux yeux de tous.
Des films comme « The migrant » et « Armaggedon Time » reviennent sur son passé de migrant. C’est pour l’ensemble de sa carrière que le Festival lui a consacré un hommage cette année. Avant de recevoir son prix, James Gray a rencontré les festivaliers de Deauville. Voici quelques morceaux choisis de cette longue rencontre.
C’est un des plus grands comédiens que j’ai connus, avec un pouvoir de séduction rare. Dans « La piscine », film qu’on joue encore aujourd’hui dans une ou deux salles à New York, quand il aperçoit Romy Schneider, son regard traduit à la fois la haine et le dégoût. Je le place vraiment très haut. Au-delà de sa beauté physique, sa force, c’était son authenticité. Et c’est ça le cinéma : transcender la réalité pour atteindre l’authenticité.
Le progrès technologique ne m’intéresse pas. Je ne crache pas sur « La guerre des étoiles » mais la force du jeu d’un acteur, c’est quand son personnage transpire par tous les pores de sa peau, pas à coups d’effets spéciaux. La beauté, c’est d’offrir son âme dans son jeu.
Les films de super héros, c’est comme les Mac Donald ! Il n’y a plus de lien avec le réel, ce n’est pas intéressant, ce n’est pas une vraie histoire, ça n’a aucune authenticité.
Dans les studios américains, on n’a eu beaucoup de réalisateurs nés en Europe et qui ont migré aux Etats-Unis. Je pense à Scorsese et Coppola. Stanley Kubrick aussi : Ils ont apporté la sensibilité et l’authenticité qu’on trouve dans le cinéma européen. Mais ils vieillissent. Et la jeune génération, cent pour cent américaine, n’a plus cette sensibilité. Leur cinéma américain a beaucoup perdu.
Ce n’est pas juste un film de guerre. C’est un film qui montre le fascisme qui sommeille en chacun de nous : les héros du film et cette musique avec le bruit des pales des hélicos, tout y contribue. Nous confronter ainsi à notre mauvais côté, on ne pourrait plus faire un tel film aujourd’hui. De même pour Visconti : c’est le dernier aristocrate marxiste : il était beau mais il transcendait la réalité.
Pendant la crise du covit, j’ai eu le temps de lire. Et j’ai lu Sophocle et sa pièce « Ajax ». Dans cette œuvre vieille de plus de deux mille ans, j’ai vu des choses encore complètement vraies aujourd’hui car on y parle de guerres tout en aimant les gens pour leurs défauts, comme dans Shakespeare. Il faut mettre le doigt sur les conflits intérieurs des personnages, transcender leur colère en paix. Même s’ils ont des défauts, il faut avoir de l’empathie pour ses personnages.
C’est une ville tellement multiculturelle, un vrai melting pot, une ville où toutes les cultures cohabitent vraiment bien ensemble. Il faut dire que c’est une bande de terrain étroite, on n’a pas beaucoup de place, on est tout le temps les uns sur les autres, la compassion est donc obligée.
Enfant, j’ai baigné dans la culture russe de mes grands-parents, on portait un regard extérieur, on se tenait à distance, on n’en disait pas trop. Il y avait une sorte de gravité, on ne riait pas souvent. A l’école puis à l’université, alors que je ne parlais pas la même langue maternelle que les autres jeunes, j’ai nourri le désir d’appréhender un groupe plus large.
Dans notre quartier, mon père fut le premier à avoir un magnétoscope, on louait des cassettes en VHS. Le premier film que j’ai vu ainsi, c’est « Le parrain » de Coppola. Je n’étais pas d’origine italienne, mais je me suis senti beaucoup de points communs. Idem avec « Raging Bull », c’est fou ce qu’on pouvait nous, les migrants, avoir de points en commun d’une culture à l’autre.
Comment dire (visiblement embarrassé) : la famille Trump dirigeait plus ou moins mon lycée, à New York. Ce lycée était fréquenté par des jeunes issus de milieux favorisés, moi pas. C’est ce que raconte mon film « Armaggedon Time ». Cet homme (sans jamais le nommer) est l’antithèse de ce que j’aime et défend comme principes de vie. Il vit de manière totalement indécente. C’est quelqu’un d’immensément antisémite : voilà qui est pour le moins étonnant pour quelqu’un qui vit à New York, une ville tellement ouverte à toutes les cultures. A moins que ce ne soit un élément de sa réussite ? Mystère.
Je redoute l’issue de l’élection présidentielle. J’espère que les masses populaires vont lui barrer la route.
J’ai un conflit personnel avec l’argent. Il guide trop le monde. Du temps de l’ancienne URSS, non pas que je la regrette, mais il y avait un contrepoids au libéralisme exacerbé. Aujourd’hui, l’argent est encore plus roi que jamais, il régit tout.
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