Avec son premier roman, Victor Dumiot aborde un sujet qui reste souvent caché : les attaques à l’acide et leurs conséquences. Une fois le choc de l’attaque passé et le calme revenu dans la presse, on oublie les victimes. Mais pour elles, c’est toute leur vie qui a basculé en l’espace d’un instant. C’est ce que raconte Acide.
Dans ce roman, nous suivons Camille, une jeune femme en reconstruction après avoir été agressée au vitriol. Entre le jour où elle se fait agresser et celui où elle tente de reprendre sa vie en main, des mois, des années se passent. On pourrait imaginer que ce n’est pas un sujet facile à aborder, surtout pour un premier roman et pourtant, Victor Dumiot y parvient.
Le jeune auteur a décidé de s’attaquer à la question de la victime, car c’est un sujet récurrent de notre époque. “La condition de la victime est en elle-même douloureuse. Il y a une forme d'assignation au fait d'être une victime. Être une victime, c'est avoir subi un rapport de force et l'avoir perdu. C'est une condition qui peut être humiliante.”
Avec le personnage de Camille, son but est clair : ne pas créer d’attachement et d’empathie envers cette victime. “J’ai essayé de trouver les moyens de la caractériser sans qu'elle puisse produire une forme d'attachement immédiat de la part du lecteur. Camille est assez désagréable, superficielle, méchante, cassante. Elle est très dure avec sa mère, avec les médecins, elle en veut à la terre entière. Et on peut la comprendre, mais c'est un personnage qui ne peut pas susciter immédiatement de l'empathie, de la pitié ou de la compassion." En réalité, Camille est tout simplement humaine, aussi désagréable que tout un chacun peut l’être au quotidien.
Pour décrire ce que vit Camille, Victor Dumiot a commencé par imaginer lui-même ce qu’elle aurait pu ressentir lors de cette attaque. “Quand j’écris, je me mets souvent dans la peau de mes personnages, je les joue, je me sentais moi-même blessé. Mais il y a quelque chose d'indescriptible. Une telle souffrance échappe à l'écriture, au langage.” Et c’est ce qui intéressait l’auteur : ramener la souffrance dans le champ des mots.
Pour la seconde phase d’écriture, Victor Dumiot s’est intéressé à la littérature existante sur le sujet, comme des thèses médicales par exemple. Lorsque Camille se retrouve à l’hôpital, il est important que l’univers dans lequel elle évolue soit le bon avec le bon vocabulaire. “Le langage médical est un langage très particulier, étouffant, asphyxiant mais aussi très neutre. Il limite la violence des blessures et en même temps, il vous fait suffoquer puisqu'il n'a plus rien de poétique.”
Lors de ce second temps d’écriture, Victor Dumiot se rend compte d’une chose : avec l’acide, on ne parle pas de brûlure, c’est bien pire que ça. En effet, le processus de destruction par l'acide est en fait une réaction chimique. "L'acide pénètre votre peau et c'est comme si des vers vous dévoraient de l'intérieur et se diffusaient. Du point de vue de l'image, imaginer cela était beaucoup plus fort que la brûlure. Et cela permettait de faire une véritable expérience presque métaphysique de la souffrance à proprement parler.”
À la page 31 d’Acide, on peut lire : "Quand on perd son visage, on se perd soi-même. On perd le droit d'être soi parmi les autres." Sans être le centre de la personnalité, notre visage est, selon Victor Dumiot, le centre de la reconnaissance, un point de contact avec autrui. Il cite le philosophe Emmanuel Levinas, pour qui le visage est ce qui permet au sujet de devenir lui-même, de devenir autre chose qu'une simple totalité enfermée, recroquevillée sur elle-même. “Ce qui est intéressant à notre époque, c'est que le visage est appelé à se customiser, à se filtrer au travers des applications et donc on voit bien à quel point la personne, la customisation du visage doit impliquer une forme de personnalité. Mais si votre visage résume votre personnalité, quid de l'intériorité, de l'âme ? À notre époque effectivement, le visage est devenu la surface primordiale, en fait la seule surface par laquelle soi-même existe pour les autres.”
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