Caméras dans l’espace public, passeport biométrique, banques de données, reconnaissance faciale... De plus en plus, nous sommes comme mis à nu dans notre vie de tous les jours. Avec l’essor technologique nous entrons dans une époque où l’obsession de la transparence atteint des sommets - avec l'injonction étatique qui nous somme de voir, surveiller, répertorier et quantifier, au nom de la sécurité. Dans ce contexte sécuritaire: que devient notre intimité lorsque s’estompe la frontière entre ce qui est vu au grand jour, et ce qui nous appartient et signe notre mystère en tant que sujet? Ces questions, Sr. Anne Lécu les pose dans "Le secret médical - Vie et mort" (éd. Cerf). Un véritable plaidoyer pour le secret.
Le secret médical, tel que l'on le pratique aujourd'hui, remonte au Code pénal de 1870. Pour Anne Lécu, il ne s'agit pas seulement de taire le diagnostic mais bien plus largement de fermer les yeux sur ce que le médecin perçoit du patient et de sa vie, qui ne concerne pas directement le soin. Il en va du respect de l'intimité de la personne. "La pudeur c'est un voile qui permet à la nudité de l'autre de ne pas être honteuse." Fermer les yeux sur ce que l'on n'a pas à voir: "une ascèse" à laquelle le médecin doit "s'astreindre" pour "ne pas êre intrusif".
Anne Lécu est religieuse dominicaine et médecin, elle travaille à la prison des femmes de Fleury-Mérogis. Pour elle "la prison est une loupe de ce qui se passe partout ailleurs": cette perte du secret nous concerne tous. Pour elle, la transparence doit avoir des limites. Elle parle d'un "rouleau compresseur" de la transparence, que l'on exige sous la pression notamment de la menace terroriste. Mais selon elle, c'est dès la Renaissance, "et l'avènement de la modernité", que l'on tient le secret pour suspect. Depuis les dissections et "l'ouverture du corps de l'homme."
On a pourtant beaucoup dit que dans les familles, notamment, il n'est pas bon de laisser des non-dits. Il y a parfois dans les familles "un secret qui exsude", explique Anne Lécu, on sent qu'il y a quelque chose de caché. Mais il y a aussi l'intimité, cette "part de nous qui n'appartient à personne". Entre ce que l'on montre, ce que l'on tait: c'est toujours un choix. Un monde sans secret serait un monde infernal: il en va de notre intimité et de notre intériorité.
- émission diffusée le 20 décembre 2016 -
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