Bien sûr, aujourd’hui, avec le recul, on saisit bien ce qu’il y a d’absurde et de criminel de vouloir s’imposer manu militari avec l’ambition affichée d’une grande nation au service de l’humanité. Bien sûr le discours ne tient pas. Mais la façon dont Mathieu Belezi raconte l’histoire révèle davantage encore les errements de l’époque, notamment parce qu’à la place de grands discours, il fait vivre sous nos yeux des personnages.
Il y a tout d’abord Séraphine, la narratrice, dont la famille a cédé aux sirènes du gouvernement qui promettait aux colons de faire fortune de l’autre côté de la Méditerranée : « vous êtes la force, l’intelligence, le sang neuf et bouillonnant dont la France a besoin sur ces terres de barbarie. » Et puis il y a le revers brutal de la médaille incarné par un détachement militaire qui n’a d’autre argument que de tuer et chasser les Algériens de leur terre. Attention, âmes sensibles, l’écriture de Mathieu Belezi est percutante, il ne nous épargne aucune des scènes les plus effroyables qui peuvent surgir quand la violence s’empare des esprits. « C’est une terre qui me fait peur », avoue la narratrice qui assiste impuissante aux razzias et à l’épidémie de choléra qui va décimer les rangs des colons. « Il était loin le paradis que le gouvernement de la République nous avait promis. »
Un livre grave, violent, dont je conseille malgré tout la lecture
Et je ne suis pas le seul : récompensé par le Prix littéraire du quotidien Le Monde, et encore la semaine dernière par le Prix du Livre inter, Mathieu Belezi, habité de ces fantômes, aurait eu tort de ne pas nous bousculer. Si cette page d’histoire est brutale, sanglante, le romancier révèle sans jugement comment ces conquérants étaient finalement pris au piège, à commencer par les militaires, capables des pires cruautés. Parfois, resurgit un élan vital, parce qu’il faut bien survivre : « Nous avons fini par enfouir bien au fond de nos entrailles nos peines les plus vives, celles qui jamais ne s’éteignent, et poussés par cet inexplicable instinct de survie, nous avons recommencé à nous battre contre le soleil, contre la terre revêche ». Mais la blessure est profonde, si profonde qu’elle ne cicatrisa jamais. L’histoire des hommes est jalonnée de ces erreurs dramatiques qui ont été source de violence, de guerre, d’affrontements immémoriaux. Séraphine encore se pose la question : « Dois-je raconter ce qui ne devrait pas l’être ? Sainte mère de Dieu, ne vaut-il pas mieux que je me taise ? » C’est sans doute aussi la question que se posait l’écrivain…
Attaquer la terre et le soleil, de Mathieu Belezi, est publié au Tripode.
Le Tripode va publier petit à petit les livres de Mathieu Belezi, qui écrit depuis plus de vingt ans, et qu’il faut absolument découvrir ou redécouvrir, par exemple avec son premier livre sorti en 1998 et à nouveau disponible, « le petit roi », récit d’une enfance douloureuse, magnifique.
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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