Bill Viola est un artiste vidéaste contemporain inégalé. 18 de ses œuvres sont exposées au musée de la Boverie à Liège jusqu'au 28 avril 2024. Pourquoi dit-on que cette exposition "Sculptor of time" est un voyage intérieur ? Marie-Elizabeth van Rijckevorsel, guide conférencière, nous présente l'artiste et son œuvre, qui nous invitent à y ressentir une émotion spirituelle.
Parmi les nombreux commentaires qui saluent cette exposition "Sculptor of time", l'une d'entre-elles dit ceci : " On a la sensation de passer dans l'autre monde où l'agitation extérieure s'oublie instantanément". Écrit le journal Le soir. Est-ce que vous avez la sensation, quand vous visitez cette exposition, de passer dans un autre monde ?
Quelle bonne citation ! Le travail de Bill Viola, au fond, c'est ça. Il nous aide à prendre conscience des passages, des seuils, des transformations, à commencer par celle de la naissance et de la mort. C'est un peu une rencontre avec soi-même et les grandes étapes de la vie quand on va dans cette exposition-là.
La mort, par exemple, n'est jamais quelque chose de fermé, une porte fermée, un arrêt, un coup d'arrêt. C'est toujours une ouverture vers autre chose. Et on voit chez lui que la mort est toujours une élévation, un mouvement. Enfin, on peut presque parler de résurrection quand on voit son travail. C'est une exposition sur le vivant. Sur le vivant, sur le vivant qui est habité par un vieillissement.
Cette exposition est-elle accessible au point de vue du grand public qui n’est pas habitué aux expositions d’art vidéo ?
L'exposition est construite avec des ombres, des lumières, des sons qui surgissent, des espaces dédiés. Le public chuchote alors qu'on a souvent tendance à parler. Il y a une ambiance de recueillement et d'expérience de la rencontre avec l'œuvre qui est fantastique là-bas, fantastique.
C'est un travail de mise en scène très important et de technicité aussi, parce que les vidéos sont parfois très déroutantes. Le titre, c'est “sculpter le temps”.
Est ce que ces vidéos sont accompagnées d'audio ?
Le son surgit un peu parfois, mais reste assez mystérieux, il n'est pas très explicite. Et c'est exactement ce que Bill Viola désirait. Il est très marqué par l'atmosphère des anciennes églises dans lesquelles le son se réverbère de manière mystérieuse. Même chose d'ailleurs pour la lumière. Il y a des ombres prononcées, des lumières soudaines. On est vraiment dans une atmosphère mystérieuse. Et d'ailleurs, il déteste les musées actuels qui éclairent beaucoup trop les œuvres.
Au début des années 2000, il s'est beaucoup intéressé à la peinture de la Renaissance, dont on dit qu'il a tenté de reproduire une émotion spirituelle plutôt qu'une forme visuelle. Est-ce que c'est là son art ?
Oui, exactement. Pour l'anecdote, il était un jour dans sa voiture à New York et dans l'atelier dans lequel il travaillait tous les jours, il avait un catalogue de la Renaissance italienne ouverte à la page de la Visitation de Pontormo. Et puis, il s'est arrêté à un feu rouge comme ça dans la ville et tout d'un coup, il a vu devant lui deux femmes se précipiter l'une vers l'autre et s'étreignant longuement avec une joie profonde et apparente. Il a compris que ce qu'il contemplait depuis des âges dans son atelier s’actualisait ! La rencontre mystérieuse, le secret partagé entre deux femmes. Tout ça, il sublime en fait ce qu'il observe dans les tableaux de la Renaissance.
Normalement, une vidéo correspond à 28 images par seconde ; Bill Viola, il en prend 300. Cela veut dire qu'après, on peut - avec des caméras de très haute définition - ralentir jusqu'à dix fois le temps et étirer l'image, étirer le temps. C'est comme ça qu'il devient "sculpteur du temps".
Au fond, cette exposition fait du bien parce qu'elle nous permet de ralentir un coup. On va beaucoup trop vite aujourd'hui. D'ailleurs, je vais citer l’artiste lui-même quand, jeune, il disait : “je trouvais que les choses allaient trop vite. Tous mes amis couraient dans tous les sens. Je pense que les choses n'ont pas changé. Quand j'ai eu ma première expérience avec une caméra vidéo, j'ai pensé : voilà ce que je voulais depuis si longtemps car je pouvais prendre une image, la regarder, la ralentir. Et je me suis rendu compte qu'il y a beaucoup plus d'informations dans un seul moment qu'on pouvait imaginer".
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