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CHARLES AZNAVOUR. FOR ME FORMIDABLE. CENTENAIRE.

Un article rédigé par Philippe Soler "Tous mélomanes" - RCF, le 24 décembre 2024 - Modifié le 24 décembre 2024

Conjuguer, à l’occasion du centenaire de sa naissance, Charles Aznavour en un cycle de huit émissions, avec mon regard, le regard d’un musicien venant du classique, preuve de la grandeur et de l’intemporalité de cet artiste, preuve qu’il n’y a pas de frontière entre les genres musicaux.

 

Pochettes d'origine 45 tours. Photo montage Philippe SolerPochettes d'origine 45 tours. Photo montage Philippe Soler

L’enfance, les années de guerre.

Charles Aznavour va naître, Aznavourian, au sein d'une famille d’émigrants, laquelle fuyait une mort certaine. Ses yeux, il les ouvrira sur un meublé triste, rue Monsieur-le-Prince au quartier latin, dans un milieu de chanteurs et d'artistes qui avaient un passé, pas de lendemain, des gens merveilleux, un peu fantaisistes, qui parlaient le russe et puis l'arménien. Les parents d’Aznavour, qui avaient fui le génocide, vont devenir sous l'occupation allemande, ce que l'on appellera, ces héros du dimanche, ces français anonymes résolus à rester debout. Ils œuvreront aux côtés de Missak et Mélinée Manouchian, ils prendront, comme tant d'autres, des risques insensés, cachant des réfugiés russes, arméniens, juifs. Aznavour sera un enfant de la balle, lequel suivra, avec sa sœur Aida, les cours de théâtre à l'Ecole des Enfants du Spectacle, cette école mixte créée en 1924 par un sociétaire de la Comédie-Française, Raymond Rognoni, véritable pépinière d'artistes, toutes disciplines confondues.

 

Des débuts difficiles !

Personne dans la chanson, n'aura attendu autant de temps, avant que de disposer des armes du triomphe. Aznavour n'aura pas été ce jeune roi couronné dès sa première bataille. L'Olympe, il ne pourra le gravir en ligne directe. Il creusera lentement son sillon, et avancera sans broncher, face aux vacheries des journalistes et du milieu, stratégie qui sera au bout du compte payante car il sait pertinemment, au fond de lui, qu'un jour son heure viendra. Il évoluera de manière mesurée, avec intelligence, calcul, pour devenir ce que l'on appellera, ni plus ni moins dans le métier, un Maître au sens le plus noble du terme.

 

Aznavour et l’écriture.

La discipline de travail d’Aznavour était telle, qu'il se mettait à son bureau tous les matins, prenant sa plume, avec à ses côtés ses dictionnaires de rimes, de synonymes, et avec des mots simples, des mots de tous les jours, il se hissera à la force du poignet, à la hauteur d'un des plus grands. Sa passion pour la photo, l’amènera à regarder le monde qui l'entoure à travers son objectif, imaginant des chansons en forme de situation. Durant ses tournées, il se promenait caméra au poing, filmant chaque instant de la vie pour en faire son miel. La constante dans ses textes sera de donner à voir, autant que d'entendre. Parce qu'il était un passionné de photographie, tel un peintre, tel un comédien, il mettra en scène à sa manière, à son niveau, le quotidien de chacun. Chercher, trouver l'angle juste, avec une écriture auquel le public pourra s'identifier, une mise en espace assez proche du cinéma, dont il était nourri depuis sa plus tendre enfance. La langue française, il la maniera avec une technique d'écriture parfaite. Ces mots de tous les jours, il saura les pétrir, les travailler jusqu'à les rendre fluides, jusqu'à en aplanir la moindre aspérité afin que rien, mais rien, ne vienne heurter l'oreille. Et à force de travail, de patience, à force de ratures, la technique deviendra invisible. Aznavour avouera ne pas avoir de culture. Il confessera avoir obtenu son certificat d'étude avec beaucoup de difficultés. De plus, il était fils d'étranger. Il se fera donc tout seul, et à lire son écriture, on ne pourra qu’être admiratif de cette perfection du verbe.

 

Paul Mauriat, arrangeur et orchestrateur d’Aznavour.

Aznavour choisira avec soin ses orchestrateurs. Il expérimentera avec eux, des rythmes, des couleurs, diverses formes d'écriture. En 1960, à sa signature historique chez Barclay, Aznavour trouvera en la personne du chef d’orchestre Paul Mauriat, un magnifique arrangeur et collaborateur, lequel saura donner une couleur instrumentale d'une grande originalité à ses chansons, lui taillant des costards sur mesure, avec un son reconnaissable entre tous. Le musicien classique que je suis, sera particulièrement sensible à ce travail d'orchestration et je me suis attaché au cours de ces émissions, à mettre nos auditeurs sur la voie, face à ces volutes de cordes, ces sonorités cuivrées, ces couleurs, véritable kaléidoscope tout à fait digne d'un orfèvre. La grande période d'Aznavour où les succès s'enchaîneront à une vitesse vertigineuse, succès qui deviendront très vite des classiques. Et puis en 1966, Paul Mauriat décidant de suivre sa route en mode solo présentera à Aznavour, son assistant Christian Gaubert. Gaubert à peine âgé de 23 ans, sortant du Conservatoire de Marseille, issu des classes de composition, mais également de la classe de piano de l'immense Pierre Barbizet. Gaubert nourri au classique, lequel saura donner une dimension nouvelle aux chansons d’Aznavour.

 

Aznavour en mode jazzy.

Tout au long de sa jeunesse, Aznavour fera tourner les 78 tours de Duke Ellington, Louis Armstrong, sans oublier ceux du Hot Club de France avec Django Reinhardt, Django qu'il croisera quelques années plus tard, dans des boîtes parisiennes. Aznavour était un inconditionnel de jazz, genre musical qu’il ne manquera pas de célébrer, tout au long de sa carrière. Il avait un sens du rythme très pointu, un swing phénoménal et il scattait à merveille. C'est pendant la guerre, enfermé durant les couvre-feux dans les caves, qu’Aznavour, avec d’autres musiciens, partira en jam session. Et puis à la libération, tout éclatera dans d’autres caves, celles de Saint-Germain et Aznavour se souviendra de cette période faste, dans plusieurs de ses titres comme par exemple « Pour faire une jam » ou l’excellent « J’aime Paris au mois de mai »

 

Aznavour, travailleur infatigable.

Il y aura quelque chose d'assez extraordinaire chez ce petit homme, sa grandeur. Aznavour c'est le chic, la classe, et il le sait très bien. Lorsqu'il gagne une bataille, il observe. Il est heureux intérieurement mais surtout, il ne montre rien. Il est fier, non pas de ce qu'il a fait, mais fier de l'avoir fait. Il n'oublie pas qu'il a quitté l'école à dix ans, il n'oublie pas que ses parents parlaient le russe et l'arménien. Il n'oubliera jamais d'où il vient, de cet ailleurs bien réel, de cet Orient, chargé du poids d'une des plus effroyables tragédies du siècle.                                                                              

La puissance de travail d’Aznavour était phénoménale. Il fera une carrière planétaire, carrière que lui seul atteindra, dépassant de loin Piaf, naviguant sur les cinq continents à une vitesse vertigineuse, avec un pouvoir de travail hors du commun, que rien, mais rien ne pourra arrêter. À regarder de près son emploi du temps, on ne pourra qu’être pris de vertige. Véritable globe-trotteur avec des tournées incessantes aux États-Unis, en URSS, le Japon, sans parler de ses films, de ses séances d'enregistrement avec des albums en plusieurs langues. Mais comment pouvait-il gérer de manière aussi parfaite son temps sans baisser la garde, en restant non seulement au sommet, mais en étant encore et toujours perfectible ?

 

A propos du film « Monsieur Aznavour »

Bien sûr, on ne pourra éviter avec les biopics, les clichés, les raccourcis. Mais il y aura dans ce film des moments forts, notamment toute l’enfance et la jeunesse d’Aznavourian, l’évocation du génocide arménien sur « Les deux guitares », Missak et Mélinée Manouchian, la rencontre avec Pierre Roche, son combat pour se hisser au sommet. Et puis Edith Piaf, jouée par Marie-Julie Baup, laquelle saura à merveille choper toute la gouaille de la Môme. Il pourra y avoir dans ce film, quelques minimes longueurs, et puis la fin quelque peu bâclée, du moins à mon sens, à partir de « Je me voyais déjà » D’ailleurs de son vivant, Aznavour avait souhaité que le film s’arrête à cette date historique du 12 décembre 1960. Moi qui ai passé plusieurs mois à chercher des documents, à lire, à écouter quasiment tous les interviews, afin de bâtir mon cycle au plus juste, je peux affirmer que la biographie d’Aznavour est respectée dans ce film, au pied de la lettre. Et puis, et surtout, Tahar Rahim est tout simplement époustouflant, tant sur le plan scénique, que sur le plan vocal. Il s’est glissé de manière magistrale dans la peau d’Aznavour. Les autres acteurs sont également d’un très haut niveau. Alors bien sûr, le genre biopic a ses limites, ses fragilités, ses risques, mais on passe un bon moment et l’émotion pourra surgir en fonction du rapport que l’on aura, à Monsieur Aznavour. A chacun de se faire son idée, à chacun son ressenti. 

Philippe Soler. Diffusion de « Charles Aznavour. For me Formidable » les 26, 27, 30, 31 décembre, 1er, 2 et 3 janvier à 10 heures (rediffusion à 00h)

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