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Claire Huynen, Ceci est mon corps

1RCF Belgique, le 23 février 2024 - Modifié le 23 février 2024
Tu m'en liras tantClaire Huynen, Ceci est mon corps

Dans le livre de Claire Huynen « Ceci est mon corps », Hélène se rend dans une abbaye pour s’y ressourcer quelques jours. Elle y reviendra à plusieurs reprises notamment pour des stages d’enluminure. Là, elle aide les sœurs dans leurs tâches quotidiennes et finit par y découvrir sa vocation. Si seulement c'était si facile.

Claire HuynenClaire Huynen

Votre livre parle de transsexualité dans l’église, pourquoi avoir voulu parler de ce sujet qui est clairement tabou ?


Mon désir au départ était de parler d'une communauté religieuse. Et j’avais envie de bousculer un peu cette communauté religieuse. Le sujet de la transsexualité, d'une femme transgenre, est apparu dans la mesure où la société aujourd'hui accueille de manière de plus en plus ouverte les différentes singularités de chacun, l'église reste encore un peu réticente, elle est encore un peu fermée. Et il me semblait que venir bousculer cette communauté paisible pouvait avoir du sens.


Etes-vous en lien avec des communautés comme celle dont vous parlez dans votre livre ?


Alors, je ne suis pas directement en lien. Le monde de l’abbaye ne m’est pas complètement inconnu puisque j'ai une tante qui quand j’étais toute petite est bénédictine. Et lorsque j'étais enfant, j'allais régulièrement au monastère la rencontrer avec les yeux d'un enfant, avec une candeur qui s'attachait plus au lieu en lui-même qu'à ce qu'on y faisait, et à la rencontre avec ma tante que j’affectionnais. Et je trouvais ça intéressant. Déjà petite, je m'interrogeais sur ce choix de vie particulier.


Avez-vous gardé ce regard d'enfant pour écrire votre livre ?


Alors, initialement oui. Maintenant, comme la foi est une espèce de mouvement de l'être qui m'est inconnu, que la religion n'est pas au cœur de ma vie, j'ai fait beaucoup de recherches. J'ai lu beaucoup de témoignages, parce que ma volonté était d'écrire le roman de l'intérieur : à la fois pour ce qui concernait les moniales, la religion et la foi, mais aussi pour ce qui concernait le personnage d'Hélène dans sa démarche transgenre, ce qui n'est pas non plus du tout mon histoire.


Vous êtes-vous basée sur des faits réels pour écrire l'histoire d'Hélène ?


Non, j'ai cherché désespérément et je n’ai trouvé de près ou de loin aucune histoire semblable. Et pourtant, il n'est pas impossible qu'elle ait existé.


Vous pensez qu'une femme trans a déjà essayé de rentrer dans une abbaye en tant que sœur ?


Je me dis que c'est possible. Parce que comme il l'est raconté à un moment dans le livre, le passé d'une novice, d'une candidate à la prise de voile n'a pas à être révélé. C’est l'être qu'on accueille dans la transformation de sa foi. Le passé n’est pas soumis au regard des moniales. On ne juge pas l'existence précédente.


Donc il est possible que ça ait été dit et accepté mais il est possible aussi que ça n'ait jamais été dit et existe sans que l'institution religieuse ne le sache. Car l’état civil a accepté cela de manière tellement ouverte qu’aujourd’hui l’identité civile change en même temps que le corps change.


La foi ne fait pas spécialement partie de votre vie, mais de votre point de vue, est-ce que la transsexualité pourrait être un frein à la vocation ?


Je ne vois vraiment pas pourquoi. Je crois que la foi est un mouvement intérieur, un mouvement de l'âme qui est indépendant des choix personnels. Dans les recherches que j'ai pu faire, je me suis beaucoup penchée sur la vie des Saints et des Saintes. Beaucoup de Saints chrétiens et catholiques ont eu des vies réprouvées par la société et qui ont été béatifiés bien après, parce qu'il y avait un mouvement qui dépassait ce refus temporel qui existait de leur vivant.


Je crois que la foi est quelque chose qui peut advenir à chacun. Heureusement parce que chacun est singulier et a accès à toutes les déterminations. 


Pouvez-vous nous donner un exemple de ces Saints dont la vie fut réprouvée avant de devenir Saint ?


J’avais lu que dans les Saints beaucoup plus anciens, des femmes avaient eu des vies très dissolues et des hommes avaient eu des vies de grands meurtriers, des meurtres d'États la plupart du temps, mais réprouvés.


Sainte Marine-Saint Marin, on dit qu'elle aurait été une femme déguisée en homme et qui pendant toute sa vie aurait vécu sous l'habit de moine masculin. A la fin de sa vie, on aurait découvert qu’elle était une femme, elle aurait été rejetée de l'abbaye. Bien plus tard elle sera reconnue comme Sainte parce que ça fait partie des histoires très anciennes dont la légende participe à la béatification et à l'histoire religieuse.


Ce livre est-il une façon pour vous d'explorer ce qu'est la foi dans votre vie ?


Honnêtement, je n'ai pas encore exploré la foi, peut-être que ça m'adviendra. En parlant avec des gens qui ont la foi et en lisant un certain nombre de témoignages, je me suis aperçue que la venue de la foi pour ceux qui l'ont découverte au cours de leur vie pouvait prendre mille mouvements. Ça pouvait être une évidence mais aussi un chemin beaucoup plus tortueux. Entre la survenue de la foi et le choix de consacrer sa vie à la vie monastique, il y a un pas à franchir. J'ai voulu inscrire Hélène à cet endroit-là de sa vie, ayant découvert une foi qu’elle a accepté comme une évidence mais que son esprit a interrogé. Mais delà à prendre le voile, il y avait un autre pas à franchir. 

On parle en ce moment des bénédictions des couples homosexuels et des personnes trans. Est-ce un heureux hasard que votre livre paraisse justement au milieu de ça ?

C'est absolument un heureux hasard puisque je ne suis pas dans les petits papiers du Vatican. Je n'imaginais absolument pas que ça pourrait devenir la position de l'Eglise catholique qui était beaucoup plus dure à ce sujet. Et on le voit d'ailleurs dans les sérieuses réticences que ça provoque. 


Oui, c'est un heureux hasard, mais il me semble que l'Église devrait aller plus loin que la bénédiction. Aujourd'hui, il est encore très compliqué d'être singulier dans l'église et de faire des choix - qui n’en sont pas vraiment - d’adapter son corps à son esprit. Il y a souvent une grande souffrance parce que la société est souvent difficilement acceptante. Je pense que c'est compliqué de se trouver singulier dans un monde qui est plutôt normatif, et qu'on devrait avoir cette ouverture d'accepter ce que l'être exprime. 


Il me semble pourtant que Jésus était le meilleur exemple de compassion, d'acceptation et de reconnaissance de ces êtres singuliers. C’est cet exemple que l'Église devrait suivre, plus que les dogmes formés au fil du temps.


Vous présentez dans le roman des arguments pour ou contre le noviciat d’Hélène qui a décidé “d'avouer” sa transsexualité. Ces arguments, d'où vous viennent-ils ?


J'ai vraiment travaillé, j'ai lu et relu. J’ai lu notamment un texte de Jean-Paul II sur le corps, sur la place du corps dans l'Église. Je n'ai rien inventé. Toutes les réflexions théologiques, les réflexions et les controverses émanent directement des textes de réflexion catholiques.


Ça signifie qu'il y a une réflexion approfondie de la part de la théologie et de l'Église elle-même sur l'intégration des personnes trans aux communautés ?  


Toutes ces documentations que j'ai lues concernaient le corps et la place du corps. Jamais à aucun endroit je n'ai trouvé une réflexion sur la transsexualité. J’utilise le terme transsexualité pour parler du changement opératif du corps en un corps de femme. Pour revenir à la question, je n'ai trouvé aucun élément à ce sujet, et ce n'est pas faute d'avoir cherché. J'ai trouvé des réflexions sur des blogs mais elles n'émanaient pas de l'Église en elle-même.


La place des personnes qui font partie de la communauté LGBTQIA+ dans l’Église, est un sujet qui avant d'écrire votre livre vous touchait déjà avant d’écrire votre livre ?


Ce n’était pas un sujet de préoccupation centrale, mais j'ai dans mon entourage des hommes et des femmes qui se sont éloignés de la religion. En tout cas de l'Église, parce que leur homosexualité leur a été renvoyée de manière brutale par l'Église. Ils se sont donc éloignés de l'Église et ont tenté de trouver d’autres endroits où épanouir leur foi.


Vous êtes-vous servie de la vie, du témoignage de ces personnes pour écrire votre livre ? 


Non parce que je crois que l'homosexualité, la transsexualité et la dysphorie de genre, sont des choses très différentes. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai voulu inscrire Hélène dans quelque chose qui n'avait rien à voir avec la sexualité. Quand j'étais jeune, les personnes transgenres n'étaient absolument pas acceptées par la société. Leur seule possibilité d'intégration dans la société était une intégration un peu marginale, qui étaient les métiers du sexe et les métiers de la nuit. On n'imaginait pas avoir un banquier qui avait opéré un changement de genre. On n'imaginait pas les intégrer dans une administration, etc.


C’est un mouvement qui n'a rien à voir ni avec une orientation sexuelle, ni avec la sexualité en elle-même. Et là où des gens qui n'ont pas opéré de changement de genre peuvent se trouver indifférents à la sexualité, il n'y a absolument pas de raison que quelqu'un qui ait changé de genre ne puissent pas se trouver dans les mêmes réflexions, les mêmes interrogations et dans les mêmes choix.


Maintenant que c'est plus accepté par la société civile, qu'il y a une parole qui s'ouvre, qu'il y a une parole qu'on entend. On n'a pas d'autre choix que d'entendre cette parole qui dit que l'identité n'est pas différente. Que la notion d'identité et les préoccupations d'une personne qui se trouve dans ce trouble-là ne sont pas différentes de celles de quiconque. Notamment dans les questions d'orientation sexuelle. C'est pour ça que je ne veux pas qu’il y ait de confusion entre homosexualité et transidentité. 


Vous qui avez créé le personnage d’Hélène, la connaissez mieux que personne, pensez-vous qu'elle aurait pu décider de garder le secret pour se faciliter la vie ?


Dans l'absolu oui. Il me semble cependant qu’avec sa personnalité, elle qui est un être en accord avec ce qu'elle est, il me semble que sa démarche de foi n'aurait pas pu s'accommoder de ce mensonge. Dans l’absolu, ça n’aurait été mentir que de garder le secret, mais pour elle oui. Je crois qu'elle voulait être au clair avec sa foi. Avec tout son travail pour être en accord avec elle-même, mentir aurait été en contradiction. 
 

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