Depuis le 10 mai, le Festival du Premier Roman investi à nouveau les rues du centre-ville de Chambéry, mais aussi d'Aix-les-Bains et d'Annecy. Pour cette 36 ème édition, les auteurs vont, comme à l'accoutumée, à la rencontre des lecteurs à travers des ateliers, des conférences, des entretiens. Mais cette programmation s'étend aussi hors du regard du public, derrière les murs des prisons.
A la Maison d'Arrêt de Chambéry, une dizaine de détenus participent depuis octobre dernier à la sélection des auteurs en lice pour le Festival. Comme ailleurs dans le département, ce comité de lecture lit, étudie puis vote pour son ouvrage favori. Mais ici, la lecture prend tout son sens. Grâce à elle, et même si le corps est derrière les barreaux, l'esprit s'évade.
"Ce n'est pas simple de se mettre à la lecture en détention" témoigne un prisonnier, "parfois, l'esprit se bloque, quand la porte de la cellule se ferme, tout se ferme. Mais quand on y parvient, c'est un super exutoire". Une échappatoire auparavant inconnue de certains. Beaucoup ne lisait que très peu avant d'arriver à la Maison d'Arrêt, pour d'autres la découverte a été totale. "Je n'avais jamais lu, ça me faisait un peu peur. Un jour, j'ai lu le roman "Berline", ça a été le premier. Maintenant, je lis des livres, j'ai pris goût à la lecture et j'en suis ravi" explique l'un des détenus. Un autre confirme "Au début, on se dit "Oh un livre, c'est pour les intellos !" Mais non, pas du tout ! C'est pour les rêveurs".
C'est finalement "Berline" de Céline Righi qui a été choisi par les détenus de la Maison d'Arrêt. L'histoire d'un mineur des années 1960, pris au piège sous un wagonnet servant à transporter le minerai de fer à la suite d'une explosion. Fernand, n'a alors plus que son imagination pour passer le temps, voguer vers d'autres rêves. Un roman-fiction inspiré de faits réels et qui n'a pas manqué de faire réagir les prisonniers. "J'ai fait un vrai parallèle avec la détention" explique l'un d'eux, "il est au fond du trou, il a une vie de merde, un travail de merde, mais il garde espoir. C'est même une leçon de vie." Lors de la rencontre avec l'auteure, ils sont nombreux à évoquer la solitude du protagoniste du roman qui fait écho à la leur, sa douleur, ses questionnements qui leur semblent familiers.
Si les motifs ou la durée de la détention n'est jamais évoquée, l'enfermement est omniprésent dans les échanges. L'avenir aussi. Dans le noir de sa mine, Fernand rêve son futur, se promet de vivre, vraiment, s'il s'en sort. Les détenus de la Maison d'Arrêt aussi pensent à la suite, à leur sortie, à la vie qui devra reprendre. "Nous aussi, il nous faudra des projets" souffle l'un d'eux.
Au début on se dit "Oh un livre, c'est pour les intellos !", pas du tout, c'est pour les rêveurs
A l'issue d'une heure trente d'échange, Céline Righi se prête au jeu des dédicaces. Certains lui demandent d'écrire un mot pour leurs proches. "C'est une dédicace pour ma grand-mère" explique un prisonnier, "elle suit le Festival du Premier Roman à l'extérieur, quand je serai dehors, je lui dirai que moi, je l'ai suivi de l'intérieur". Autour d'une part de moelleux et d'un jus de fruit, la rencontre prend fin.
Un moment hors du temps, aussi, pour Céline Righi, habituée aux interventions en milieu carcéral. "J'organise des ateliers d'écriture au Centre de Détention de Strasbourg. Comme aujourd'hui, ce sont des moments d'humanités forts, sans faux-semblants, sans être parasités par les codes de l'extérieur. C'est très très très beau".
L'école en prison, le quotidien de Marie-Pierre Valcke
C'est la responsable de l'école, accompagnée par la bibliothécaire bénévole de la Maison d'Arrêt, Mylène Vachette, qui porte, en détention, le Festival du Premier Roman. Dans sa salle de classe, où sont délivrés des cours quotidiens, elle veut, à travers ce partenariat faire naître des réflexions nouvelles, évoquer à travers les mots des uns, les sentiments des autres. "Dans le roman, Fernand est en bas et rêve de "en haut", ici nous, on est dedans et on parle du "dehors", il y a un écho, une résonnance très importante". Et si les détenus s'estiment "privilégiés" de pouvoir recevoir un auteur, en prison, le Festival permet aussi, de changer le regard du monde extérieur sur le quotidien des prisonniers.
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