Dans cet épisode de Tu m’en liras tant, une fois n'est pas coutume, nous parlions d'une pièce de théâtre. Parce que le théâtre, ça se lit aussi et qu'en plus, quand c'est poétique, on aurait presque envie de le lire à voix haute. La pièce s'intitule Rose et Massimo et a été écrite par Félix Radu. Rencontre.
On vous a régulièrement entendu sur La Première et quand on écoute vos chroniques, on se dit certes que vous êtes poète, mais pas forcément dramaturge. Pourquoi une pièce de théâtre ?
Parce que je suis de formation théâtrale, j'ai fait des études de théâtre et j'ai toujours écrit sur le côté. Et forcément, quand on est comédien, on veut écrire pour son travail et donc on veut écrire du théâtre. Les grands auteurs qui moi m'ont passionné quand j'étais petit sont des dramaturges : Shakespeare, Molière, Victor Hugo, Tchekhov, Alfred de Musset.
Les gens m'ont rencontré par la chronique radio, mais la chronique n'a jamais été mon métier. C'est un accident de parcours, un très bel accident, mais c'est un petit endroit de perdition, un égarement. Moi, mon véritable travail, celui qui me passionne, c'est celui du théâtre, c'est celui de de la dramaturgie et même cinématographique quelquefois.
Dans cette émission d’habitude on parle de roman, est ce que vous auriez pu faire de Rose et Massimo un roman ou cela devait-il être une pièce de théâtre ?
Rose et Massimo devait être une pièce de théâtre, mais bien sûr que j'écrirai un roman un jour et je suis déjà en train de le faire. C’est un autre exercice et ça donne très envie de s'y confronter. Mais Rose et Massimo, l'œuvre en tant que telle devait sortir sous ce format parce qu’elle a été écrite pour une fille dont j'étais amoureux et que celle-ci était comédienne et que moi j'étais comédien. Et le théâtre faisait vraiment partie de l’ADN de notre relation. Et donc elle, elle lui ressemble et elle me ressemble un peu.
Qu'est-ce que cette pièce dit de vous ?
Je pense que n'importe quel auteur, même quand il parle de choses très éloignées, y met toujours des parties de lui-même. Cette pièce raconte mes 20 ans, elle dit de moi que j'ai un jour été très amoureux de quelqu'un et que j'ai eu envie de lui dire. Je pense que Rose et Massimo est qu'une grande déclaration d'amour dans tous les sens du terme. C'est une déclaration d'amour à la femme pour qui ça a été écrit, au théâtre qui passionnent mes jours et mes nuits, à la langue française, aux auteurs qui l'ont porté et qui l'ont défendu. C'est une grande déclaration d'amour. Et même à l'acteur aussi en tant que tel, puisque tous les comédiens dans cette pièce ont beaucoup de choses à jouer. J'avais envie que aucun rôle ne soit un peu désuet. Je voulais que tout le monde ait à déclamer sur le plateau, à suer et à pleurer.
Est ce qu'on peut vraiment tomber amoureux aussi vite que Rose et Massimo le font ?
On aimerait bien, non ? Enfin moi, je me lève le matin et j'espère toujours un peu. Je commence à devenir peut-être un peu vieux, j'ai 28 ans aujourd'hui. Je ne suis pas certain qu'on puisse tomber amoureux comme Massimo et Rose dans la vraie vie, mais ce n’est pas pour ça qu'on ne peut pas le fantasmer et le rêver et le chercher un peu partout.
Ce n’est pas parce que les choses n'existent pas qu’on ne peut pas les faire exister quelque part et qu'elles n'ont pas leur place dans le quotidien. Le rêve, l'espoir, l'espérance, ce sont des choses qu'on peut garder dans le cœur tout en sachant que le monde dans lequel on vit n'est pas forcément celui qui les possède naturellement. Donc on ne tombera jamais amoureux comme Rose et Massimo, mais rien ne nous empêche de le rêver en se réveillant le matin.
La pièce alors c’est un drame, une tragédie. Pourquoi ne pas en avoir fait quelque chose de plus heureux ?
D’abord, ce n'est pas parce que ça se finit de manière dramatique ou tragique que ça n’a pas été joli et que ce n’est pas heureux. Je pense que les choses ce n’est pas parce qu'elles finissent qu'elles sont tristes. Par exemple, je trouve que la vie a une fin plutôt dramatique. Enfin ce qui nous attend au bout, ce n’est quand même pas fou. Mais ce n’est pas pour ça que l'aventure qu’on traverse en ce moment, c’est pour la beauté, les rencontres, etc. C'est un peu ça ce que j'ai essayé de retraduire par Rose et Massimo. C'est que quelquefois on n'a pas besoin que la fin dure pour toujours et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Quand ça se finit très brutalement, ça a pu être beau et ça a pu être joli. Et même parfois, la beauté ne suffit pas à ce que les choses finissent bien, mais ça ne retire pas ce qui a existé et c'est un peu le combat que j'ai essayé de mener dans cette pièce. C'est de raconter à quel point la beauté parfois peut être furtive. Mais même si elle est furtive, mon Dieu, elle a existé.
C'est Dostoïevski qui a écrit quelque chose de très joli : « une minute de béatitude, n'est-ce pas assez pour la vie d'un homme ? » Et c'est si au moins on a vécu une minute de bonheur, mon Dieu, le reste, on s'en fout. Si tu t'es levé le matin dans ta journée et que tu as eu bêtement 30 secondes dans le train où tu t'es senti bien, ta journée est réussie. Si un jour tu es tombé amoureux et tu peux mourir.
Moi j'adore ça quand tu es très amoureux de quelqu'un. Le fait de l'avoir dans le canapé en train de dormir et tu te dis : « Ah, elle est tellement belle mon Dieu, je pourrais mourir là, j'ai tout vécu. » C'est un peu ça, donc je me dis peut-être Rose, Massimo, Rubus, Aldo. Même si ça se finit de la manière dont ça se finit, je pense qu’il y a plein de choses à en retirer quoi.
De qui sont inspirés Rubus et Aldo ?
Je pense qu'ils sont inspirés un peu des meilleurs amis qu'ont eu cette fille pour qui ça a été écrit. Et ils sont inspirés aussi évidemment de moi parce qu'on ne peut que se raconter soi-même. Aldo son nom vient de mon oncle italien qui s'appelait Rinaldo et pour qui j'éprouve beaucoup d'affection et d'admiration. Ce fut un grand homme parce qu'aujourd'hui il est plus là, mais il a été d'un soutien distant et en même temps omniprésent dans ma vie quand j'ai commencé à vouloir faire du théâtre. Et j'avais envie de lui rendre cet hommage-là.
Rose s'appelle rose et Rubus en latin ça veut dire ronce et je trouvais ça charmant que déjà Rose soit protégé par des ronces. Mais surtout que les ronces on a tendance à les assimiler à quelque chose de piquant, de brutal, de méchant. Alors qu'au final les ronces ça peut fleurir et ce n'est pas du tout agressif une ronce, c'est juste un moyen de défense. Rubus lorsqu'on commence la pièce, je pense qu'on se dit effectivement qu’il porte bien son nom de ronce et au fur et à mesure que la pièce avance on se dit : « Ah oui peut-être bien que les ronces en fait sont juste des fleurs qui ont pris l'hiver quoi.
Qu'est-ce que ça fait pour vous qui avez écrit cette pièce, de la voir jouer sur scène ?
Alors en plus de la voir jouée sur scène, je la joue donc je suis sur le plateau et je suis actif dedans. C'est très surprenant et c'est très particulier parce que je l'ai longtemps fantasmé. J'ai longtemps rêvé de la voir jouée. Alors évidemment, à cette époque, j'aurais rêvé la jouer avec la personne pour qui ça a été écrit.
Les choses négatives, c'est qu’évidemment il faut abandonner le fantasme. Il faut se dire que ce ne sera jamais comme tu l'avais imaginé. Et puis les gens qui rentrent dans ton texte, ils vont y rentrer leur sensibilité, leur corporel, leur histoire à eux. Il faut abandonner ça faut se dire que ça leur appartient maintenant c'est leur rôle.
Et les choses positives justement c'est qu'ils apportent des choses que tu avais été. Tu n’es pas, tu es loin d'être Dieu. Je veux dire, tu fais des erreurs, parfois tu laisses des vides et ils les comblent et c'est très bien. Ça m'est arrivé plusieurs fois pendant qu'on répétait les scènes de les voir jouer et de me dire que ce n'était pas ce que j'avais écrit, mais c'est même presque plus beau quoi, tellement ils ont amené leur sincérité, leur sensibilité et ça résonne autrement. Et tu te fais surprendre sur ton propre texte et ça c'est très amusant. J'ai beaucoup recherché à me faire surprendre sur mon propre texte.
Vous avez écrit une lettre au lecteur à la fin du livre. Dedans, vous parlez du fait qu’il y a un peu de l'intergénérationnel, vous voulez rejoindre les jeunes et les plus âgés dans le théâtre. Pourquoi ?
Bien sûr. J'ai la sensation que le théâtre s'est un peu refermé sur lui-même et que la culture aussi. C'est à dire qu’aujourd'hui on fait plus que de la culture pour des gens cultivés et que toutes les personnes qui ne lisent pas ou qui ne vont pas au théâtre sont populaires et dans le mauvais sens du terme. Je déteste ce discours qui est que la culture est pour des lettrés un peu intellectuels et que les autres n'ont pas le droit. Pour moi, le théâtre, la littérature, ce sont des choses très populaires dans le beau sens du terme. Ça a toujours appartenu au peuple, aux gens qui étaient laissés pour compte et laissés de côté. La poésie appartient plus que jamais aux jeunes et aux gens qui ont déserté les théâtres parce qu’on leur a retiré la légitimité d'y aller.
Ma volonté en écrivant Rose et Massimo, c'était de prouver d'abord que ce n'est pas parce qu’on ne vient pas de milieux cultivé, parisien ultra huppé qu’on ne peut pas aimer la culture et vouloir la porter. Ce n'est pas parce qu'on a 20 ans qu'on n'est pas capable de lire des grands auteurs et de les aimer et de vouloir concurrencer avec eux et de jouer à leur jeu quoi. Donc mon but, c'était que des jeunes se sentent légitimes d'aller au théâtre parce que c'est leur pièce, que c'est leur lieu et qu'on leur a retiré.
D'ailleurs, beaucoup d'intellectuels prennent de haut Tik Tok, Instagram et Facebook en disant que ce sont des réseaux sociaux pour jeunes un peu nuls. Mais on les jeunes vont là où on leur laisse la légitimité d'y aller. Puisqu'on leur dit qu’ils sont trop bêtes que pour aller au théâtre, puisqu'on leur dit qu'ils sont trop jeunes que pour lire de la grande littérature, ils vont faire de l'art où ils peuvent. Et où ils peuvent c'est sur Tik Tok. Et quand tu arrêtes de prendre de haut ces réseaux et que tu vas t'y perdre un peu, tu te rends compte que parmi tous ces jeunes il y a des grands créateurs et y a des grands esprits. Le rap en fait partie, le graffiti en fait partie. Quand tu vois que sur Tik Tok il y a des milliers compte de jeunes de 12 ans qui font des chorégraphies, qui apprennent à chanter, qui montrent comment ils font des jeux, tu te dis que l'art n'est pas mort, il a juste changé d'endroit.
Si on rouvre les portes des théâtres, ils y retourneraient peut-être donc ma volonté avec Rose et Massimo c'est ça. C'était de dire : nous aussi on peut le faire, on se réapproprie ces lieux qui sont les nôtres.
Il y a plein de références dans la pièce quelle était la référence que vous deviez mettre dedans ?
Je devais les mettre en bouquet. Toutes celles qui faisaient écho à l'histoire d'amour que j'ai vécu parce qu’avant d'être un livre en Fnac ou en librairie, c'était un cadeau. C'était une déclaration d'amour. Les références les plus importantes sont celles que les gens peut-être ne reconnaitront jamais parce qu’elles appartiennent à cette fille-là : ses fleurs préférées, son parfum, sa couleur de cheveux, sa coiffure, ses manies et ses formulations, tout ça, ce sont des références que moi je connais et qu'elle connaît aussi, mais que les gens quand ils liront se diront que ça vient de mon esprit. Non elles existent et elles habitent une rue de Paris.
Il y a d'autres références qui devaient être là pour le lecteur bien sûr. Toutes celles qui appartiennent à la littérature, il y a Dostoïevski, Shakespeare, Molière, Musset, Victor Hugo. Tout ça, ce sont des références que je voulais dans ce texte pour nous. Nourris de ce bagage culturel qui moi me fascine. J'avais envie d’avoir ce que moi j'appelle l'effet Toy Story. C’est-à-dire que les jeunes kiffent l'histoire et apprécient tout cet effet neuf et que les gens un peu plus âgés se disent : ah le filou il a mis ça là, il a mis ça là, il a mis ça là. Je voulais qu'il y ait des doubles lectures partout et j'espère que c'est réussi. J'espère que peu importe d'où l'on vient, peu importe où l'on va, on puisse prendre des choses dans Rose et Massimo.
Pouvez-vous nous choisir une citation de la pièce que vous aimez et que vous voudriez nous partager ?
Une toute petite citation de Rubus. Je pense que Rubus c'est celui qui a les plus grosses punchlines de la pièce. À chaque fois il arrive, il dit une phrase et tout le monde est étonné. Du coup, Rubus a les plus jolies phrases et un moment il cite sa maman qui est un personnage assez mystérieux dans la pièce et il dit : « ma mère disait souvent quand on a les yeux ouverts, on voit ce qu'on a et quand on a les yeux, on voit ce qu'on voudrait. Voilà pourquoi on dort les yeux fermés et que l'on continue de battre des paupières toute la journée. » Je trouve ça très joli, court, intense.
Qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter pour la suite ?
De l'amour(s). Quelque chose qui soit un grand amour, - irrémédiable et immense, ou soit plein de petits amours, mais de l'amour quoi, peu importe d'où il vient, peu importe son ombre, je pense que c'est ce dont on a le plus besoin en ce moment au vu des temps sombres que nous traversons, on a bien besoin d'un peu de douceur quoi.
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