Le 16 février 2023, une nouvelle saison de Top Chef sera diffusée sur M6. Véritable succès télévisuel, cette émission illustre parfaitement la passion des Français pour la cuisine. Cette passion vaut à notre pays d’être considéré comme une référence internationale en matière de gastronomie. Comment la cuisine a-t-elle évoluée au cours des siècles, jusqu’à devenir le fer de lance de l’art de vivre à la française ? Réponse avec Patrick Rambourg, historien spécialiste de la cuisine et de la gastronomie.
La cuisine n’a pas toujours été une passion populaire. Pour preuve, pendant longtemps, seuls les plus riches possédaient une véritable pièce consacrée à la cuisine avec une cheminée. Chez les paysans, seul un brasero au milieu d’une pièce unique servait à cuire les aliments. Aliments qui n’étaient d’ailleurs pas les mêmes selon la catégorie sociale. Par exemple, « le bœuf n’est pas considéré comme une viande des grandes tables, [contrairement] aux volailles et volatiles », présente Patrick Rambourg. Et d’expliquer : « d’une façon générale, tous les aliments qui sont le plus près possible du ciel sont une nourriture plus noble. On considérait que c’était non seulement une nourriture plus légère, mais surtout plus proche du paradis, du monde de Dieu ».
Autre grande différence entre les mets consommés par le peuple et l’aristocratie médiévale : les épices. Contrairement à l’idée reçue diffusée par les historiens du XIXème siècle, ces épices ne servaient pas à cacher le goût de la viande avariée. « Ça ne fonctionne pas historiquement, assure l’enseignant à l’université Paris VII, les épices sont très chères, donc les seuls qui peuvent en acheter à l’époque ce sont les plus riches. Or ils ne mangent pas de viande avariée, elle est consommée très fraîche, presque aussitôt que l’animal a été tué. Alors qu’aujourd’hui, on consomme un animal dont la viande a reposé dix à quinze jours ».
Utilisées massivement au cours du Moyen-Âge, parce qu’on estimait alors qu’il était bon pour la santé de mélanger des épices dites chaudes et sèches, à des aliments tels que la viande ou le poisson, dits froids et humides, les épices vont tout de même disparaître peu à peu à la Renaissance. A cette époque, une autre denrée de luxe, longtemps médicinale, apparaît : le sucre. Il devient « une denrée de la douceur et du plaisir », commente l’historien. Le sucre sert alors à atténuer l’acidité des recettes et à adoucir les épices. Ce produit devient un « phénomène de mode », à tel point que même le poisson et la viande sont sucrés. Accusé de cacher le goût véritable des aliments, le sucre sera peu à peu supprimé des plats.
« Le beurre montre aussi une évolution de la cuisine à la Renaissance », poursuit Patrick Rambourg. Après avoir longtemps été interdit pendant le Carême et les jours maigres, parce que constitué de matière grasse animale, l’Eglise l’autorise finalement dès le XVème siècle à la consommation pendant les jours maigres, « notamment dans l’ouest de la France puisque dans cette région il n’y a pas beaucoup d’huile ».
Ce qui fait la particularité de la gastronomie française, ce n’est pas seulement le goût des plats, c’est aussi leur présentation. Avec le service à la française c’est l’art de la table qui se manifeste. Si on en voit les prémices dès le Moyen-Âge, c’est surtout à partir des XVII et XVIIIème siècles qu’il entre réellement dans les habitudes. « Il consiste à apporter un certain nombre de plats en même temps et de les déposer sur la table. Alors qu’aujourd’hui on sert plat après plat », simplifie Patrick Rambourg. Il ajoute : « à cette époque, on pensait que l’œuvre c’était la table, et non pas seulement le plat et la cuisine. C’est un ensemble, on tenait compte de la forme du plat, de sa couleur, de sa présentation ».
« Tant que le service à la française existera, il n’y aura pas de verres sur la table parce qu’il n’y a pas de place », précise l’historien. Les verres existaient sur des dessertes plus loin et les nobles et aristocrates devaient donc demander aux serviteurs de le leur apporter. Les verres apparaissent sur les tables avec l’arrivée du service russe, qui remplace progressivement le service à la française dans les restaurants qui se multiplient à vitesse grand V à partir des années 1760. Le service russe, qui ne vient pas spécialement de Russie, est « un service où l’on sert les plats les uns après les autres et non plus un ensemble de plats que l’on pose sur la table ». Il permet ainsi de libérer de la place sur la table pour un verre, voire plusieurs pour chaque alcool.
C’est au siècle des Lumières (XVIIIème siècle) que la cuisine est élevée au rang d’art, au même titre que la peinture. Le travail dans les cuisines est plus hiérarchisé, chacun est à son poste, la cuisine est plus sophistiquée et la technique de plus en plus poussée. Au XIXème siècle, nouvelle étape avec l’arrivée des premiers critiques culinaires, la gastronomie devient une véritable science. C’est à cette époque que naît Auguste Escoffier, un grand chef qui modernise la cuisine. Son livre « Le guide culinaire » devient une véritable bible dans laquelle « de nombreux cuisiniers se sont retrouvés enfermés », nuance Patrick Rambourg.
Il faudra attendre les années 1970 pour qu’une nouvelle génération de cuisiniers arrive avec Paul Bocuse ou encore Joël Robuchon. Le mouvement de « la nouvelle cuisine » émerge, poussé par Gault et Millau, deux journalistes qui créent leur guide gastronomique en 1972 et contribuent à médiatiser les grands chefs et la gastronomie française.
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