Il nous avait habitué à de la fantaisie, des romans drôles et surprenants, des histoires pétries de tendresse et de légèreté, avec toujours un peu de cruauté joyeuse. Mais aujourd’hui, il ne nous fait plus rire, cher Grégoire Delacourt. Il ne se cache plus derrière la fiction, l’enfant de Valenciennes, il raconte avec pudeur, cette blessure profonde d’un gamin abusé par son père.
Encore une vie douloureuse, encore une victime qui n’en finit pas de cicatriser, et si je vous en parle, c’est parce qu’il y a, chez Grégoire Delacourt, cette veine littéraire qui dit avec précaution et délicatesse ce qu’est la vie d’un homme maltraité à son plus jeune âge. "Il y a un enfant mort" en lui, et cette incapacité d’aimer. "Car aimer, écrit-il, c’est aussi faire mal. C’est détruire. Ruiner. Voilà ce que mon père m’a légué, ce que mon corps de marmot a enseveli ; ce que mes livres un jour finiront pas essoucher."
Une histoire qui vient le sortir du déni qui marque généralement les victimes pendant de nombreuses années. Le romancier à succès – plus de 1,2 millions d’exemplaires pour "La liste de mes envies" -, puise dans l’histoire familiale depuis toujours pour attendrir ses nombreux lecteurs. Il en a oublié l’enfant blessé, il n’est plus que le publicitaire génial, l’écrivain sympathique, mais pourtant : ça coince, ça ne colle pas, le bonheur s’échappe… "Les bêtes blessées sont dangereuses, confie-t-il. Elles savent qu’elles peuvent survivre." La mère savait, la mère aurait aidé l’enfant prisonnier, en l’écartant froidement du cercle familial et des mains du prédateur. Mais le gamin ne comprend pas ce qui lui vaut un tel rejet. Et garde une plaie ouverte tout en ignorant d’où elle peut bien venir : "Je souffre toujours d’une peine mystérieuse, maman, j’ai mal au bide comme lorsque j’étais gamin, je tourne encore ma tête la nuit pour dire non, à bientôt cinquante balais…" Qui dit qu’avec le temps la douleur s’estompe ?
L’auteur reconnaît qu’il s’est sans doute caché dans ses romans, et que la fiction n’était qu’une étape avant d’aller chercher dans la mémoire oubliée cet enfant agressé qui pleure encore : "Ecrire c’était vivre et oublier – ce sont ceux qui n’écrivent pas qui se souviennent", écrit Grégoire Delacourt, qui sait aussi que ce nouveau livre, si différent, va bousculer : "Ecrire est périlleux. C’est ouvrir des tombes." Mais une fois encore, dans ce récit poignant, l’écrivain vient rejoindre notre commune humanité dans ce qu’elle a de noir et de blessé : "Tout s’assemble. Mon histoire est banale, c’est ce qui la rend triste." Bien sûr, il faut traverser l’épreuve, et il en coûte de découvrir la vérité, et la cicatrice est là, comme une trace indélébile : "J’ai parlé de ce que la souffrance demeure toujours. Elle est un tatouage. Elle est une moucheture." Il faut trouver des points d’appui pour réparer l’enfant : "Il aura fallu ma colère et ma souffrance. Il aura fallu les mots. Je connais enfin mon histoire." Et Grégoire Delacourt le dit avec force, comme un encouragement à toutes les personnes bafouées : "Le jour où j’ai appris que j’avais été une victime, je me suis senti vivant."
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