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"L'histoire est le contraire d'un passé fantasmé"

RCF,  - Modifié le 17 juillet 2023
Invoquer le passé pour analyser le présent, les tensions à l'œuvre dans la société : cela peut se faire à condition d'exercer un esprit critique, de ne pas fantasmer un passé idéalisé.
Wikimédia Commons - Sans-culottes en armes, gouache de Jean-Baptiste Lesueur, 1793-1794, musée CarnavaletWikimédia Commons - Sans-culottes en armes, gouache de Jean-Baptiste Lesueur, 1793-1794, musée Carnavalet

Comprendre le temps présent à la lueur du passé : quels risques ? À quel moment exerce-t-on un esprit critique d'analyse ou réinvente-t-on un passé ? La question mérite d'être posée lorsque Jean-Luc Mélenchon dresse un parallèle entre le "gilet jaune" Éric Drouet et Jean-Baptiste Drouet, le révolutionnaire - celui qui a reconnu Louis XVI lors de sa fuite vers Varennes en 1791. 

Devant la complexité du monde contemporain, il est certes difficile de ne pas céder à la nostalgie d'un âge d'or idéalisé, comme d'éviter l'enfermement dans un présent inexplicable. Si l'histoire n'est pas "une boîte à outils qui donnerait des clés d'explications à tout et au présent", comme le dit Emmanuel de Waresquiel, "la connaissance de la complexité du passé peut peut-être nous amener à porter sur le présent un regard critique et précisément à ne pas se laisser enfermer dans un système de représentations, un système imaginaire, un système de fantasmes... L'histoire est le contraire d'un passé fantasmé".
 

"Gilets jaunes" et Révolution française

Les points presse devant la salle du jeu de paume à Versailles, la rédaction de cahiers de doléances, les nombreuses évocations de la Bastille ou des lettres de cachet... En multipliant les références à la Révolution française, les "gilets jaunes" entretiennent ce qu'Adolphe Thiers (1797-1877) appelait un "réel d'imaginaire""On est dans la réinvention et les fantasmes d'une Révolution qui n'appartient qu'à ceux qui en parlent", pour Emmanuel de Waresquiel.

Selon l'historien, tout cela relève de la mémoire - voire de "l'amnésie" et d'une "confusion des contextes" - plus que de l'histoire. Si en effet par "histoire" il faut entendre "distance", "esprit critique" et connaissance du passé", établir un parallèle entre les "gilets jaunes" et la Révolution française relève d'une méconnaissance, notamment de "l'esprit qui a présidé à 1789". Là où on avait "un élan" et une "espérance d'un monde d'après qui serait meilleur que celui d'avant", "on est aujourd'hui dans une situation de défense infiniment désespérée", avance l'historien.
 

Mythe Fondateur ou déni de réalité

"Là où un Anglais vous dira quelque chose de mal n'est pas anglais, là où un Américain vous dira quelque chose de mal n'est pas démocratique, un Français vous dira quelque chose de mal n'est pas républicain." En ce qui concerne la République et l'esprit républicain, nous tombons, observe François Sureau, dans un "déni de réalité" : "on invoque le passé sans voir ce qu'il était exactement, on le fantasme." 

Ainsi, on invoque la République : mais laquelle ? Celle qui a condamné Dreyfus ? Celle du bagne ? Est-il nécessaire de rappeler que "la Révolution a commencé par un pogrom à Strasbourg", que "le premiers des actes de la Commune a été la dévastation des synagogues des XIXe et XXe arrondissements de Paris" ? "Nous baptisons ce corpus idéalisé République sans voir ce qui dans ce corpus idéalisé ce qui était blâmable."
 

L'illusion de l'idée de souveraineté

La Révolution française n'a pas résolu le malaise français à l'égard de la souveraineté. En 1789, le "combustible révolutionnaire" tenait, comme l'explique Emmanuel de Waresquiel, dans "la tension entre deux formes d'exercices de la démocratie : un exercice représentatif et un exercice de démocratie directe". Par exemple, la pression exercée par les Sans-culottes et des sections parisiennes sur la Convention nationale. 

On touche ici à l'idée même de représentativité et de souveraineté. "À une fiction politique du droit divin, ajoute François Sureau, on a substitué une fiction de la souveraineté populaire qui est aussi une fiction car enfin désigner des représentants ne veut pas dire que le peuple gouverne. Nous n'étions pas à l'aise avec la fiction de la souveraineté divine, nous ne sommes pas davantage à l'aise avec la fiction de la souveraineté nationale issue de 89. Cette hésitation profonde est permanente dans l'histoire constitutionnelle de la France, entre l'émeute et le despotisme."

 

Émission diffusée en janvier 2019

 

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