Christophe Henning présente "Andrea de dos", un livre de Michel Jullien publié aux éditions Verdier. Un très beau roman, à l’écriture exigeante certes, mais qui raconte une belle histoire de pèlerinage populaire.
Ce roman a été construit à partir d’une histoire vraie, du côté des contrées amazoniennes. C'est aussi un roman plein de saveur et d’imagination. Quelque part en Amérique du sud, un pèlerinage rassemble des foules qui processionnent jusqu’à la Madone de Jabuti, avec un rite à accomplir pour que la sainte réalise tous vos vœux : monter jusqu’au sanctuaire sans lâcher la corde qui, sur plusieurs kilomètres, se déroule.
"Quelque deux mille personnes trépignaient au départ d’octobre, impatients de saisir la corde pour ne plus la lâcher, tous frères d’âme", nous dit le narrateur. Et gare à celui dont, par malheur, la main se détache. Car "la sainte comble chaque prière à condition que les doigts du pèlerin soient restés sur la corde tout au long du chemin, sans jamais la lâcher. La sainte est stricte, charitable autant que tatillonne". En cas d’échec, il n’y aura plus qu’à attendre l’an prochain pour solliciter à nouveau la mansuétude de la Vierge.
Sur le chemin, s’accumulent et se bousculent "des requêtes à tout va, un bric-à-brac d’espoirs". Et dans ce flot de pèlerins, se trouvent Ezia, l’aînée, qui est ethnologue – ce qui, entre parenthèses, ne semble pas lui servir à grand chose -, et la cadette Andrea, kinésithérapeute et championne du lancer de poids. Toutes deux, replètes et dodues, ont bien l’intention de plaider pour le rétablissement de leur mère saisie d’une fièvre constante, et portent aussi les vœux de plusieurs membres de la famille devant la statue de bois.
Et son origine ne l’est pas moins, ce que révèle ensuite le narrateur qui nous dévoile d’où vient la sainte "une statuette polychrome, en bois, cinquante centimètres de haut, couronnée, un bras en moins, un œil délogé, un autre en verre, une bonté répondant au nom complet de Nossa Senhora Aparecida do Jabuti Queimado." Ce que raconte l’histoire, c’est qu’en 1801, très précisément, un pêcheur trouvait non pas les poissons quotidiens dans la nasse prévue à cet effet mais… cette Vierge de bois. Précautionneux, il l’emporta chez lui, à l’abri dans sa cabane, bien embarrassé de cette soudaine apparition. Mais voilà que la statue disparaît pendant la nuit pour retourner dans les replis de la mangrove. De jour en jour, le phénomène se répète. Il n’y a plus qu’à la ficeler, et là encore… la corde de chanvre se trouve distendue, devenant le support de la dévotion réunissant des milliers de pèlerins se bousculant pour tenir la corde : "On s’y accroche, on s’y pend. On s’y dispute, on s’y bat entre fidèles".
Il y a, dans l’écriture de Michel Jullien qui a vécu au Brésil plusieurs années - cet atmosphère si présente dans l’œuvre de Garcia Marquez, Borges ou Sepulveda, par exemple, une sorte de jubilation extravagante qu’on retrouve dans la littérature sud-américaine, à l’image de la description du narrateur : "C’est un pays démonstratif. La contrée raffole des frasques, des exotismes enragés, un pays aux furieux enjouements, péniblement chauvin, plein de goût pour le tapage sans frein. Il faut du bruit, le raffut impérieux, des couleurs par-dessus les autres, des mouvements saturés et le grand rire national". On imagine… D’ailleurs, ne dit-on pas que la littérature nous dépayse ?
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