"La pêche du jour", d'Éric Fottorino, publié aux éditions Philippe Rey. À peine 70 pages, qui se lisent d’une traite, le temps d’un voyage en train, d’une soirée tranquille, d’un après-midi au chaud… Mais attention, c’est une lecture qui dérange, un petit livre coup de poing, qui va vous bousculer, vous percuter, et troubler le cadre paisible de votre quotidien…
Pour tout dire, j’ai hésité à vous en parler. Mais en même temps, ce petit livre nous renvoie en pleine figure une réalité que nous ne pouvons pas ignorer. Éric Fottorino, journaliste et écrivain, nous parle des migrants qui, poussés par le désespoir, traversent la Méditerranée au péril de leur vie. L’histoire pousse jusqu’à l’absurde la réaction des pêcheurs reconvertis dans "la pêche" de ceux qui sont morts dans la folle traversée. Je n’en dis pas plus, cette fable sordide vise à nous choquer, à nous écœurer, et elle y parvient. Peut-être faut-il en passer par là pour saisir l’urgence de la question ?
En fait, Fottorino décrit avec force le drame qui se joue, décrit l’attitude du pêcheur des côtes méditerranéennes et montre l’épreuve des migrants : "Ils ont embarqués sur des rafiots qui ne tiennent pas la mer. Des Zodiac en plastique chinois criblé de rustines. Des barques surchargées en bois vermoulu. Ils boivent la tasse. Ils avalent la mer. La mer finit par les avaler." Face au drame, certains se mobilisent, mais un délit d’entraide vient contrarier cette légitime réaction : "On crée des délits de solidarité contre qui leur vient en aide. Sauver des vies par les temps qui courent, c’est un crime", souligne le narrateur qui insiste : "On n’imagine pas tout ce que nos Etats riches et civilisés vont inventer pour se dispenser d’être humains". Et l’écrivain de pousser encore plus loin la violence démesurée qui dépouille les migrants du peu qu’ils ont, eux qui souvent effacent toute trace de leur passé, de leurs origines pour ne pas être identifiés, refoulés : "Vivants, ils n’existaient pas, morts, ils existent encore moins. Ejectés de leur pays, éjectés de leurs bateau et pour finir, éjectés des statistiques. Un bataillon de fantômes"…
Ce petit livre sort aujourd’hui, et je vous en parle parce que, c’est vrai, il y a urgence. Fottorino est d’abord journaliste. S’il fait un détour par la fiction, c’est sans doute parce que l’information ne passe plus. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous nous sommes habitués, certainement pas, et l’actualité réveille régulièrement nos consciences.
Mais cela n’empêche pas la littérature de refléter aussi ces drames. Fottorino n’est pas le premier ni le dernier à évoquer le drame des migrants, et la fiction a ce pouvoir de bousculer, de provoquer, avec des histoires qui vont au-delà des faits pour aller plus loin, pour ouvrir un horizon, fût-il terrible. Ce petit texte est dérangeant, obscène, mais n’est-ce pas la réalité qu’il laisse transparaître, comme un révélateur de nos ombres. La littérature est un miroir, tout comme la mer : "Plus de vingt mille noyés. La Méditerranée est devenue le plus grand mouroir du monde à ciel ouvert, écrit Fottorino. Elle est aussi notre miroir, dans lequel nous pouvons nous regarder, si nous avons le cran".
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