Le philosophe Frédéric Lenoir étudie l'histoire des religions depuis 35 ans. Il vient de publier un ouvrage d'environ 500 pages sur l'histoire du sacré, histoire qui prend naissance au Paléolithique et qui sera ensuite marqué par de grands bouleversements tels que la révolution du Néolithique ou l'apparition des grandes civilisations. Ces bouleversements sont corrélés aux grands bouleversements culturels que les sociétés humaines ont traversés. Frédéric Lenoir vient nous éclairer sur cette "Odyssée du sacré" (titre de son ouvrage qui vient de paraître aux éditions Albin Michel).
Frédéric Lenoir est philosophe, sociologue et écrivain, historien des religions et spiritualités. Il a dirigé pendant 9 ans ‘’Le Monde des religions’’. Il est l'auteur de nombreux ouvrages vendus à plus de 10 millions d’exemplaires et il est traduit dans vingt-cinq langues.
Il vient de publier aux éditions Albin Michel "L'Odyssée du sacré", ouvrage remarquable dans lequel il fait la "synthèse de plus de 100 000 ans d’histoire des croyances et des spiritualités".
"Le sacré, c'est l'expérience, le sentiment fondamental, universel que peut faire tout être humain face au mystère de la vie et de la mort."
"Le sacré est premier : c'est parce qu'on s'interroge sur le sens de la vie et de la mort que l'on va développer une spiritualité : c'est à dire une quête de sens; on va chercher à s'améliorer, à grandir en humanité, à connaître le monde."
"La religion, c'est la dimension collective : comment on va organiser le sacré, la spiritualité dans une culture donnée."
Et les trois éléments peuvent être dissociés.
Les découvertes archéologiques des premiers rituels funéraires marquent l'origine du sacré dès Néandertal. Puis le lien très fort de l'Homo sapiens avec la nature est caractérisé par la matrice commune de croyances, encore retrouvée aujourd'hui, à savoir l'animisme. Et l'art pariétal (c'est-à-dire du fond des grottes) est probablement un art chamanique pour se mettre en lien avec les esprits des animaux représentés avant de les chasser.
Sous titre et thèse centrale de ce dernier livre intitulé "L'Odyssée du sacré", Frédéric Lenoir nous montre que les grandes révolutions spirituelles sont étroitement corrélées aux grandes révolutions culturelles qu'a traversées l'humanité.
Au Néolithique, avec l'apparition de l'agriculture et de l'élevage, on constate un recul marqué de l'animisme, qui sera remplacé essentiellement par le culte des dieux et des déesses de la cité à qui on offre des sacrifices (animaux et semences).
Durant l'Antiquité, avec l'apparition de l'écriture, vont se développer de grandes civilisations (l'Egypte, la Mésopotamie) caractérisées par le sacrifice, les grands récits de mythes et l'apparition d'un clergé spécialisé (qui fera les sacrifices) et des organisations religieuses en lien très fort avec le politique. Enfin, "les religions créent le sacré (monuments sacrés -temples...- et aussi des moments sacrés - fêtes religieuses, temps liturgiques...); elles décident ainsi de ce qui est sacré et de ce qui est profane. Ainsi, la notion de sacré s'éloigne du sentiment naturel évoqué ci-dessus."
Entre 800 et 200 ans avant notre ère, apparaît la naissance des religions universalistes et de la philosophie, partout dans le monde (période appelée par Karl Jaspers, l'âge axial de l'humanité) avec l'émergence du Taoïsme et Confucianisme en Chine, des prophètes d'Israël, la philosophie grecque, le bouddhisme et le jaïnisme en Inde... Cette naissance est concomitante avec l'apparition des classes moyennes et aisées. On n'est plus dans la survie mais de plus en plus de gens ont du temps pour réfléchir. Partout on retrouve les mêmes choses : l'importance de la raison, de la réflexion, l'importance de l'amour, de la charité, de la compassion. On constate une intériorisation de la spiritualité. L'individu doit faire un travail sur lui-même.
Et nous arrivons à la naissance des grandes religions du salut qui intègrent cette dimension spirituelle tout en remettant du collectif, du rituel et des croyances collectives.
Autre bouleversement culturel, commencé à la Renaissance et qui continue encore aujourd'hui : la période de "la modernité" avec comme caractéristique l'esprit critique (pensons à Descartes et son "Discours de la méthode") mais aussi le triomphe de la science avec la révolution industrielle du XIXème siècle. Nous savons, en particulier en Occident et sur le christianisme, l'impact que ce bouleversement a eu : non pas une disparition de la spiritualité (la quête de sens n'a pas disparu mais elle est souvent individuelle) mais plutôt une dissociation entre la spiritualité et la religion. En parallèle, actuellement avec la mondialisation, apparaît un "raidissement communautariste" : face au choc des cultures, il y a un repli identitaire grâce à la religion.
En conclusion de cet entretien, Lionel Coste (en citant la conclusion du livre de son invité) entraîne Frédéric Lenoir à nous expliquer pourquoi il est "convaincu que nous vivons actuellement une nouvelle mutation majeure, un cinquième tournant anthropologique et sociétal". Réponse à découvrir dans notre émission "Rendez-vous du savoir" de RCF Maguelone-Hérault.
Retrouvez l'interview de Frédéric Lenoir dans l'émission "Visages" de Thierry Lyonnet : Frédéric Lenoir : l'origine des religions n'est "pas une croyance" mais "une émotion".
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