Depuis 5 ans, Mounia Raoui anime un chantier de "réconciliation nationale", projet à la frontière entre l’artistique et le social dans le Neuhof à Strasbourg. Le 28 septembre, la comédienne présente une première restitution de ses travaux avec la participations des habitants du quartier.
RCF Alsace : En 2020, vous avez l'idée de monter le projet F.A.R., la fabrique artistique de la réconciliation nationale. Comment est-il né ?
Mounia Raoui : C'est parti d'un constat, d'une espèce de chaos politique. Premièrement, d'un sentiment qu'on était un peu écrasé socialement. J'avais la sensation que si on n'était pas vigilant sur le langage, notamment sur les mots, on allait avoir de plus en plus de mal à se parler les uns les autres, à se rencontrer. Il allait y avoir un tel écart d'expérience de vie entre deux individus sur le territoire qu'on n'allait pas accorder le même sens aux mots et que cela allait nous éloigner. Nous vivons une période où le capitalisme a été développé à outrance, et qui nous éloigne les uns des autres, mais en plus, d'une certaine façon, les mots nous sont volés. On allait vraiment devoir faire beaucoup d'efforts pour se rapprocher les uns des autres et refaire connaissance.
RCF Alsace : Comment entreprenez-vous ce processus de rapprochement dans le projet de "réconciliation" qui existe dans le quartier du Neuhof depuis 5 ans ?
M.R. : Tout est parti d'un questionnaire source que j'ai imaginé. Il y en avait cinq : peux-tu évoquer un événement de la vie politique dont tu dirais qu'il est fondateur de ta prise de conscience politique? De quoi ou de qui te Sens-tu l'héritier ou l'héritière? Avec quoi ou avec qui as-tu à te réconcilier? À quoi aspires-tu ? Peux-tu parler d'un événement, de ton histoire dont tu dirais qu'il est constitutif de ce que tu es là, maintenant? Ce sont des questions qui charrient l'intime et le politique, auxquelles on ne répond pas spontanément, qui demandent un temps de réflexion et qui demandent de créer un espace de l'écoute pour recevoir les réponses. Mon idée, c'était de passer par l'artistique pour créer cette écoute-là et la possibilité pour les gens de témoigner de leur expérience de vie.
RCF Alsace : 5 ans plus tard, le chantier vit un temps de restitution des différents travaux lors de la Journée de l'autre organisé au Neuhof le 28 septembre . Est-ce une étape importante ?
M.R. : Toutes les étapes sont importantes. Surtout, il faut que ce soit une étape joyeuse. Il s'agit d'investir un tronçon de l'Allée Reuss que les habitants du Neuhof connaissent parfaitement et de la scénographier pour les inviter à poser un autre regard sur l'espace public. Nous multiplions les ateliers qui donneront le jour à des moments de théâtre, de poésie ou des petites capsules sonores retraçant les dialogues entre des jeunes et des séniors diffusés sur haut-parleurs.
RCF Alsace : Dans les programmes de développement personnel, il est question de se réconcilier avec soi même. Vous, vous envisagez la notion de réconciliation à l'échelle collective. Comment définissez-vous cette notion de réconciliation ?
M.R. : La réconciliation, c'est un beau mot. Je pense que la réconciliation doit toujours rester en question à l'intérieur de nous-même. Au début, lorsque je leur demandais "avec quoi ou avec qui as-tu à te réconcilier?", plusieurs habitants, peut être par pudeur, répondait "Non. Personne. Rien. Juste peut être moi même". Il faut d'abord commencer par se réconcilier en nous-même. Avec la complexité de la vie, avec le mystère de la vie, en acceptant ce mystère-là. Peut-être aussi avoir le droit de se redire que nos existences sont multidimensionnelles et que nous ne sommes pas écrasés à être seulement des individus à l'intérieur d'une société qui écrase tout.
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