Il y a 45 ans, le 28 mars 1977, le film de John G. Avildsen, Rocky, était sous les feux de la rampe. Comme d’autres œuvres singulières, il allait devenir, au fil du temps, un classique du 7e art. Nominé dans dix catégories aux Oscars cette année-là, il ne remportait que trois statuettes : celle du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur montage, mais Rocky et Sylvester Stallone, qui en avait écrit le scénario, et porté le projet jusqu’à imposer sa présence à l’écran, rentraient dans la légende. Mais Rocky, c’est aussi la musique de Bill Conti qui allait marquer les esprits pour longtemps.
Dimanche 27 mars, la 94e cérémonie des Oscars du cinéma livrera son palmarès. Evénement majeur qui participe grandement à la notoriété de ceux qui sont couronnés, les Oscars ont de tout temps aimé les trouble-fête et contribué à faire émerger les talents. Le film Rocky, de John G. Avildsen, est de ceux-là. Quant à la bande originale de ce long métrage devenu icônique de la pop culture des 70’es, son histoire est avant tout celle d’un homme, Bill Conti, qui un soir du printemps 1977 allait voir sa vie basculer.
Take you back et son beat funky soul très seventies, est interprétée par le groupe Valentine, sur des paroles d’un autre Stallone, Franck, le frère. La chanson ouvre le film réalisé par John Avildsen, inspiré, par le véritable combat de boxe qui mit aux prises le 24 mars 1975, le grand Mohamed Ali à Chuck Wepner, un boxeur de 3e zone, d’ascendance irlandaise et parfait inconnu. Sylvester Stallone est fasciné par le courage et la résistance de ce loser magnifique. Dans ce combat déséquilibré en apparence, Wepner fait mieux que de se défendre et envoie même le champion du monde au tapis. Rocky Balboa était né.
Rocky est une œuvre à part, hors norme, presque métaphysique. Ce film au budget dérisoire d’un petit million de dollars à l’époque, doit beaucoup, et même plus que ça à Bill Conti. A sa sortie, des millions de jeunes de par le monde allaient s’approprier l’histoire de Rocky et la musique de ce feel good movie aux accents galvanisants et son héros, à qui ils pouvaient s’identifier. Bien plus qu’un simple film sur le sport, Rocky se révélait comme une chronique sociale hyper réaliste sur une Amérique des déclassés et des laissés-pour-compte des grandes métropoles en même temps qu’une formidable parabole sur le sens de la vie, les priorités et des valeurs telles que la loyauté, l’abnégation, l’estime de soi et l’amour de son prochain.
A chacun de ses combats, il s’agenouille et se signe dans le coin du ring. Car Rocky est catholique et croyant et sa foi peut soulever des montagnes. Mais le doute est un sentiment humain qui rejoint parfois un autre sentiment celui de la solitude. Dans Rocky, la figure du anti-héros que joue Sylvester Stallone n’est jamais aigrie comme en témoigne l'attention qu'il porte aux autres. C'est cependant bien dans la foi qu’il va puiser la force nécessaire pour terrasser sa mélancolie et parvenir à une certaine forme de rédemption qui passe par la meurtrissure physique. Rocky finit ses combats souvent en lambeaux. La rédemption est bien la clé d’entrée du film. La boxe, encore une fois, n'est qu'un prétexte. L’essentiel au fond est ailleurs. Tout en restant indirecte, la symbolique chrétienne est omniprésente. Le film s’ouvre, d’ailleurs, sur une icône immense trônant au-dessus du ring de boxe où il dispute son combat contre Spider Rico. Rocky exalte de surcroît la fidélité, par-delà même la mort, et pose un regard profondément chrétien sur la vieillesse et la fuite du temps. Dans les volets qui suivront, on entrevoit aussi le père Carmine, curé de la paroisse du quartier à qui Rocky demande la bénédiction avant de défier Apollo Creed dans le match de la revanche ou encore dans Rocky V. Frank Capra, l’auteur de La Vie est belle, autre film vantant l’altérité et l’amour de son prochain, l’avait bien compris en saluant la qualité d’écriture de Rocky.
Nous sommes le soir de Thanksgiving et Rocky emmène Adrian, la sœur de son ami Paulie à la patinoire. Comme souvent derrière le destin de chaque grand homme se cache une femme. Dans Rocky, elle s’appelle Adrian Pennino et est magnifiquement interprétée par Talia Shire, sœur du grand Francis Ford Coppola. Comme lui, elle est italo-américaine et travaille comme vendeuse dans une petite animalerie miteuse qui vivote. Mal fagotée, sa timidité est par ailleurs presque maladive. Mais Rocky a décelé en elle son honnêteté et sa loyauté. Au fond, elle synthétise toutes les qualités recherchées chez une femme. Et Rocky va en tomber amoureux. Elle sera son moteur et sa raison d’être. Car elle et lui se ressemblent au fond même si Rocky, pour gagner sa vie, effectue les basses besognes de Gazzo, un usurier du quartier. Quant à la musique de Bill Conti, elle semble avoir été écrite au plus près des images. Et pourtant, c’est tout le contraire. Tout aura été enregistré en une seule séance de trois heures, sans projection.
Bill Conti a plusieurs atouts en ce milieu des années 70. Lui aussi est italo-américain. Lui aussi est touché par l’histoire de ce petit boxeur au grand cœur à qui il va offrir une partition magique faite à la fois de grandes envolées triomphales mais aussi de morceaux intimistes et mélancoliques à l’image du titre Philadelphia Morning qui accompagne Rocky dans son entraînement au cœur de la nuit froide. "Les Etats-Unis est le pays qui donne sa chance à chacun de ses enfants", martelle l’acteur Carl Weathers qui joue Apollo Creed, le champion du monde qui a jeté son dévolu sur un parfait inconnu, choisi pour son surnom : l’Etalon italien. Un plus marketing et une aubaine, se dit-il, pour la promotion du combat du Siècle.
Rocky, c’est le rêve américain. Pourtant, malgré son enthousiasme, Bill Conti ne croit pas trop au succès de ce sympathique petit film de genre. La suite va lui prouver qu’il se trompe. Totalement inconnu du grand public malgré quelques collaborations pour le cinéaste Paul Mazursky, Bill Conti partage son temps entre les Etats-Unis, l’Allemagne et l’Italie où il compose pour quelques projets et artistes locaux. Rocky va être une déflagration. Mais le budget du film est si dérisoire que son ambition va se heurter à la réalité. Il réussit tout de même à faire embaucher un orchestre d’une trentaine de musiciens pour jouer notamment les grandes envolées lyriques de la BO, référence explicite aux opéras italiens et aux péplums. Pourtant, Gonna fly now, la pièce maîtresse de Rocky, son morceau de bravoure, sera enregistré parmi les derniers morceaux mais scellera le succès de Conti pour la postérité.
Dans tout film, il y a comme ça, des morceaux touchés par la grâce. Le Gonna fly now, de Bill Conti est de cette trempe. En 2 mn 48, il dresse l’inventaire de l’histoire. Le dépassement, la communion et le triomphe du bien, le tout dans une couleur très seventies avec une base funky très américaine, des cuivres triomphants et un chœur en contrepoint qui cogne et galvanise. Et dire qu’au départ, les producteurs ne s’étaient pas montré franchement très emballés par une partition jugée trop démonstrative, qui en disait « trop » aux spectateurs. Chaque homme a rendez avec son destin un jour ou un autre. Rocky le sait. Lui, le chômeur aculturé a la chance unique, l’occasion de briller et de prouver au monde qu’il n’est pas un moins que rien. Il a perdu son vestiaire à la salle de boxe de Mickey et reçoit sa visite chez lui après une nouvelle altercation. Le climat est tendu. Rocky ne digère pas ce qu’il ressent comme un abandon, une humiliation, lui qui aspire à la reconnaissance et à un peu de compassion de la part de ce père d’adoption.
Dans Rocky, c’est en fin de compte, les morceaux les plus sobres qui sont les plus touchants à l’image de Alone in the ring. Quelques notes de piano dépouillées venant traduire le calme avant la tempête qui accompagne la scène où Rocky se rend au Spectrum de Philadelphie la veille de son combat afin de mesurer le défi immense qui l’attend. En rentrant, il confie ses doutes à Adrian dans l’une des plus belles scènes du film. A ce moment là, Rocky prend une autre dimension.
DVD et blu-ray Rocky l'anthologie, édité chez MGM/United Artists (2020).
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !