"Les êtres humains sont tous pareils, c'est leurs objets, leurs dieux, leurs langues, qui sont différents." Tobie Nathan est l'un des rares représentants de l'ethnopsychiatrie, qui n'est plus enseignée aujourd'hui en tant que discipline universitaire. Et pourtant, c'est là que le professeur émérite de psychologie a trouvé la façon de soigner ses patients migrants. Et d'agir dans la prévention de la radicalisation. Ce qu'il décrit dans "Les âmes errantes" (éd. L'Iconoclaste).
Toute sa vie, Tobie Nathan a côtoyé des gens de culture, de langue, de croyance différentes des siennes. "Ce qui m'intéresse c'est ce qui est différent." Un émerveillement constant face à la différence, qu'il a su transposer dans l'exercice de sa profession et la prise en charge psychologique des migrants. "Quand les migrants viennent, ils ne viennent pas tout nus, ils viennent avec des connaissances, des théories, ils sont riches de quelque chose."
C'est cette richesse-là qui intéresse le clinicien, plutôt que les manques. Dans son livre "Les âmes errantes", Tobie Nathan a cette très belle formule : "Aujourd'hui, on dit « un migrant », peut-être parce que, si l'on s'en tient à la grammaire, l'« immigré » atteint une destination, alors que le « migrant » poursuit son inéluctable destin de migrer encore, de migrer toujours..." (p. 179) Et si voir les richesses du migrant était un moyen de le fixer au sol, de l'enraciner à un territoire ?
Né en Égypte en 1948, Tobie Nathan a fui son pays avec sa famille en 1957. "Entre 0 et 10 ans j'ai eu trois identités, égyptienne, italienne et française." Italienne parce que c'était la moins chère : les non musulmans ne pouvaient pas à l'époque être de nationalité égyptienne. Eux étaient juifs et l'un de ses ancêtres avait dû acherer leur nationalité. En réalité il porte le prénom du grand-père de son grand-père, Yomtov, qui signifie "jour de fête".
Mais c'était "lourd à porter", le prénom d'un grand rabbin, alors toute sa vie on l'a appelé Tobie. "Je pense qu'il y a une destinée dans les noms." Ce n'est que relativement tard que le psychologue a découvert le "petit prophète" de l'Ancien Testament, Tobie. Ce guérisseur de la Bible invité par un ange à guérir sa femme Sarah possédée par un démon, puis son père aveugle, avec du fiel de poisson. Tobie Nathan, lui, a passé plus de 45 ans à soigner des gens victimes notamment de pratiques type sorcellerie ou envoûtement.
Depuis trois ans, Tobie Nathan s'intéresse aux jeunes islamistes radicalisés. Tout au long de son livre, il fait d'ailleurs des allers et retours entre sa propre expérience d'immigré et ces jeunes issus de l'immigration maghrébine mais pas uniquement. "Ce que j'ai remarqué, c'est que ça peut arriver à n'importe qui, ça peut arriver à mes enfants, ce phénomène m'a giflé."
À l'automne 2015, le Centre Georges-Devereux, que Tobie Nathan a fondé en 1993, a été contacté par le ministère de l'Intérieur pour consulter des jeunes signalés comme radicalisés par leurs familles. Dans son ouvrage, l'ethnopsychologue écrit : "Les jeunes radicalisés ne sont pas seulement des âmes errantes capturées par des gourous pervers, des politiques calculateurs ou des tyrans fous d'apocalypse. Ce sont aussi des curieux, avides de sens, en quête de réponses à des questions de philosophie fondamentale." (p. 97)
Parce que chaque visage est unique, le podcast Visages accueille des hommes et des femmes d'une grande diversité : philosophes, aventuriers, personnes engagées dans le développement et dans l'action humanitaire, artistes, religieux, entrepreneurs ... Tous partagent au moins un point commun : l'ouverture et le respect de l'autre dans sa différence. Thierry Lyonnet leur donne la parole pour une rencontre en profondeur.
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