C’est un droit fondamental, légalisé en France depuis 1975 : le droit à l’avortement. Aux États-Unis, la Cour suprême veut revenir sur ce droit, pourtant garanti depuis 1973. Léontine Soulier, illustratrice à Strasbourg, vient de sortir un roman graphique sur cette thématique. Elle nous raconte sa démarche.
Adrien Beaujean : Est ce que pour vous, aujourd'hui, l'avortement c'est toujours ou c'est encore un sujet tabou?
Léontine Soulier : Alors oui, quand j'ai fait le livre, je n’en avais peut-être pas conscience. J'ai fait le livre parce que je trouvais qu'on n'en parlait pas assez, et je me suis rendue compte que beaucoup d'amis proches à qui c'était arrivé ne m'en n'avaient pas parlé et qu'il y avait quand même un gros pourcentage de personnes qui étaient passées par là.
En fait, ça part d'une histoire personnelle. Moi, c'était vraiment des sensations que j'ai eues et que j'ai voulu retranscrire. Bien sûr, ce n'est pas anodin, c'est un sujet qui était engagé. Donc je savais qu'après, il allait se passer des choses. Et mon but, c'était aussi de pouvoir parler de l'avortement au sens plus large, on va dire.
A.B. : Est-ce que traiter cette thématique répondait aussi à des inquiétudes que vous avez sur ce sujet là? Peut être par rapport à la situation aux États-Unis, ou même en France?
L.S. : En ce qui concerne la France, j'étais assez confiante. C'est vrai que le livre est sorti à peu près quand il y a eu ce sujet aux États-Unis. C'était un curieux hasard. Mais moi, c'est toujours des choses qui me sont inconcevables pour moi. Je n'arrive pas à comprendre.
A.B. : L'avortement reste donc un sujet tabou. Dans votre roman graphique, comment vous avez décidé justement de traiter cette question? Qu'est-ce que vous avez fait comme choix? Peut être de narration ou de couleur? Qu'est-ce qu'on peut concrètement retrouver dans ce roman graphique?
L.S. : Je ne pouvais pas parler de tout. Moi, ce qui m'avait surpris quand ça m'est arrivé, c'était vraiment les sensations. J'ai eu l'impression de flotter un peu, on a quand même une charge d'hormones, et on ne sait plus trop où on en est. Même si c'est un choix, on sait que c'est “non”, et bien ce n'est pas évident et c'est ça que j'ai voulu montrer aussi, que ce n'est pas noir ou blanc. Le livre, il est traité comme un milieu aquatique, en fait, parce qu'effectivement, il y a cette sensation de flottement. Et puis après, il y a toute cette histoire de la grossesse, le liquide amniotique, etc. Je voulais quelque chose de doux aussi. Je ne voulais pas que le livre soit trop brutal, on va dire…
A.B. : Parce que c’est souvent l'image qui est associée à l'avortement, c'est que c'est brutal alors que d'après votre expérience, ça ne l'est pas forcément ?
L.S. : C'est très étiré en fait, donc ça reste brutal, mais sur un temps assez long. En fait, c'était vraiment ça que je voulais montrer. On tombe enceinte, il se passe quelque chose dans notre corps et on a dix jours de réflexion aussi quand on ne veut pas, donc dix jours où on est dans cet état là. Et après il y a le moment de l'intervention. Et puis il y a le temps après, c'est que même si on sait qu'on n'en avait pas envie, eh bien ça reste compliqué et ça reste un acte chirurgical, physique. On se pose des questions, c'est normal. Le livre, à la base, c'était uniquement des images qui me sont venues. Il y avait quand même une histoire linéaire, mais je n'avais pas voulu mettre de texte au début et je pense que c'était aussi pour le garder à distance. Je voulais le donner aux autres pour qu'ils puissent l'utiliser par rapport à leur histoire personnelle aussi essayer d'avancer. Après mon éditrice, elle m'a poussé à écrire un texte à la première personne et je pense qu'elle a bien fait parce que les gens peuvent aussi se mettre à cette place là.
A.B. : Qu'est ce que les gens vous disent de ce roman après l’avoir lu? Est-ce que ça les aide? Quels retours que vous avez déjà eu?
L.S. : J'ai des gens qui m'ont dit que c'était très beau et très dur. J'ai des gens qui m'ont dit que c'était exactement ça, ce qu’ils avaient eux-mêmes vécu. Et après, ce qui est intéressant aussi, c'est que j'ai commencé à faire des séances de dédicaces et j'ai eu des hommes aussi qui m'ont parlé parce qu'en fait, pour moi, c'était vraiment le côté “on n’en parle pas”, et ça, il faut le dédramatiser. En fait aussi, se dire ce n'est pas grave, ce n'est pas horrible. Donc bien sûr, plein de femmes qui n'en parlent pas et en fait des hommes aussi qui m'ont dit : “voilà, dans mon couple, c'est arrivé. J'en ai parlé avec ma compagne qui vivait vraiment les choses, mais je n'en ai parlé à personne d'autre”.
Ça reste quelque chose d'important, il ne faut pas en avoir honte. En fait, c'est vraiment ça, je pense. Moi, j'en ai parlé. Pour moi, ce n'est pas un problème. Je me suis rendue compte qu'en fait personne n'en parlait à ce moment là
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