"Les histoires sages finissent souvent par un beau mariage et beaucoup d’enfants " dit la chanson. C’est par le refrain de "la vie conjugale", chanson de Guy Béart dans les années 1960 que commence le roman délicat et sensible de Dominique Barberis. Deux pages après, la narratrice décrit une photo noir et blanc aux bords crantés, prise à Douala, au Cameroun, en 1958. C’est la photo de tante Madeleine. "Elle marche, toute jeune, ravissante dans sa robe d’été, en tenant la main de sa fille."
Comme si cette vie « aux colonies » comme on disait encore à l’époque, était le cadre de son épanouissement. Parce que, une fois l’indépendance proclamée en 1960, il a fallu rejoindre l’Hexagone. Et la tante Madeleine avait perdu de son éclat : « Avec son élégance datée, discrète et un peu provinciale, est restée toute sa vie une femme de l’après-guerre. » Elle était mariée à Guy, qui travaillait pour le commerce du bois au Cameroun. Elle l’a suivi. Etait-elle heureuse ? « Un mariage c’est comme la mort : on ne peut pas en parler puisqu’on le voit toujours de l’extérieur. Personne n’en connaît le secret. »
Ils sont cinq mille européens à Douala nous dit le roman, « sans compter les fonctionnaires répartis sur le territoire, les militaires, les planteurs de bananes, de cacaoyers, d’hévéas, les Pères blancs des missions. » Un petit monde qui vivait en vase clos, fait d’avantages et de jalousies : « C’était un lieu d’intrigues. Pour les querelles d’avancement, rien de pire que la colonie. Les épouses des fonctionnaires se démenaient beaucoup pour obtenir des avantages, des postes, et des invitations aux fêtes qui égayaient les longues soirées. On se fréquentait, on dînait les uns chez les autres, on s’épiait. » A ce jeu-là, Madeleine a bien du mal à trouver sa place. Mais à la page 103, la rencontre avec Yves Prigent va bouleverser l’héroïne. Car ce séducteur né est bouleversé par la jeune femme timide, discrète. « Il est possible qu’il n’y ait eu rien d’autre, que ç’ait été aussi simple que cela. C’était peut-être lié à sa timidité à elle, à ce qu’elle avait de raide et d’un peu triste qui l’avait ému. »
Est-ce entre eux, une amitié platonique ou peut-être un jeu de séduction qui ne dit pas son nom se joue entre ces deux-là, alors que la tension monte dans le pays. Les camerounais réclament leur indépendance pendant que, dans les soirées de la Délégation la radio crache du Dalida ou du Mouloudji. Madeleine peut-elle faire confiance à cet aventurier opportuniste ? Que vont-ils devenir alors que la petite société coloniale s’effondre en fermant les yeux ? C’est un roman d’une infinie délicatesse, décrivant avec subtilité les émois d’une femme effacée, et pourtant ardente. De ces années au Cameroun, elle ne dit rien ou presque une fois rentrée, et sa nièce narratrice recueille seulement des bribes : « Elle disait que pour elle, c’était fini. C’était comme s’il y avait en elle une autre femme que nous ne connaissions pas. Peut-être qu’elle se disait que le silence efface les choses, qu’il les annule. Si on ne parle pas, s’il ne reste aucun trace, est-ce qu’on ne peut pas douter de ce qu’on a vécu ? » Un très beau moment de littérature, un livre sélectionné pour le Goncourt, souhaitons-lui bonne chance.
Une façon d’aimer, de Dominique Barberis, publié chez Gallimard.
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