Virginia Woolf et Emily Dickinson sont deux figures tutélaires de la littérature anglophone. Mais que seraient-elles devenues sans leurs sœurs ? Quel a été le rôle et l’impact de leur entourage sur leurs destins d’artistes ? Dans "Les ombres blanches" (éd. Grasset) Dominique Fortier s’intéresse à Lavinia, la sœur d’Emily Dickinson. Et dans "Double V" (éd. Actes Sud), Laura Ulonati se penche sur le sort de Vanessa, la sœur de Virginia Woolf.
Quand Emily Dickinson meurt, c’est avec stupéfaction qu’on trouve dans sa chambre des centaines de poèmes. Que faire de ce trésor aussi impressionnant qu’embarrassant ? Comment faire passer la sœur aînée à la postérité ? Et qui est prêt, en cette fin de XIXe siècle, à reconnaître le génie de la poétesse ?
Elle est l’une des plus grandes poétesses de langue anglaise. Chez Emily Dickinson (1830-1886) il y a d'abord le personnage qui fascine. "Elle est un mythe aujourd’hui, résume Dominique Fortier, elle était déjà un mythe au moment de son existence, elle vivait en recluse, elle refusait de sortir d sa chambre, elle était toute de blanc vêtue…" Mais c’est aussi son œuvre qui intrigue, tant le style est unique.
La Québécoise Dominique Fortier a déjà consacré un superbe livre à Emily Dickinson. Dans "Les villes de papier", en 2020, couronné par le prix Renaudot essai, elle dressait un portrait original de la poétesse à partir des lieux où elle avait vécu. Cette fois, avec "Les ombres blanches" (éd. Grasset), elle s'intéresse à l'entourage d'Emily Dickinson. En particulier à sa sœur. C'est en effet grâce à Lavinia que les poèmes de Dickinson ont été publiés. Quand Emily est morte, à l’âge de 55 ans, ce qu’a découvert sa sœur est un véritable trésor : "des milliers de poèmes qui étaient souvent juste griffonnés sur des bouts d’emballage, de sacs de farine, de sacs de sucre, des bouts d’enveloppe…" Emily avait demandé à sa sœur de détruire tous ses papiers personnels. "Mais quand elle tombe sur ses poèmes elle n’arrive pas à les détruire et donc elle choisit de se dire, on imagine, que ce ne sont pas des papiers personnels mais qu’ils méritent d’être connus dans le monde entier."
Pour Dominique Fortier, si Emily Dickinson a pu écrire et mener sa vie d'artiste, c'est aussi grâce à Lavinia. "Pour que quelqu’un puisse vivre comme Emily Dickinson, enfermée dans sa chambre, à écrire à se consacrer à rien d’autre qu’à l’écriture, il faut qu’à côté il y ait quelqu’un qui vive comme Lavinia Dickinson, c’est-à-dire qui s’occupe de cette personne, qui en prenne soin, qui la nourrisse…"
Le climat entre Vanessa et sa petite sœur Virginia est loin d’être paisible. Les deux sœurs sont naturellement inséparables mais aussi inconciliables, parfois. Toutes les deux sont éprises de création, l’une se consacrant aux lettres, pendant que l’autre peint et dessine. Il y a l’enfance, la vie d’adulte dans le cercle artistique des années 30 et tous ses excès. Comment survivre quand on n’est que l’autre, la sœur de la grande Virginia ?
En évoquant Virginia Woolf et sa sœur Vanessa Bell, Laura Ulonati, auteure de "Double V" (éd. Actes Sud), évoque aussi bien elle-même et sa propre sœur. "J’avais beaucoup envie d’écrire sur des sœurs parce que c’est un lien qui est absolument essentiel dans ma vie encore aujourd’hui d’adulte." Elle voulait aussi voir ce que la création artistique peut faire à ce lien si particulier. "Qu’est-ce que ça fait à ce lien familial, qui est un peu heurté au départ, dans des familles un peu dysfonctionnelles ? Comment on peut se souder l’une à l’autre, faire roc et comment l’imaginaire peut vous emmener très loin des contingences familiales ?"
Dans l’Angleterre de l'entre-deux-guerres, Virginia Woolf, "c’est l’écrivaine et peut-être l’éditrice la plus connue, la plus puissante", décrit Laura Ulonati. Mais si Virginia - la préférée du père - brille par son esprit, c'est pourtant Vanessa qui est l’aînée. Entre elle et sa sœur, la romancière décrit des "rapports de domination qui ne sont pas naturels", des rapports d'admiration aussi, et d'émulation. Souffrant de dépression, Virginia réclamait parfois "un amour complètement fusionnel", qui pouvait être "vampirisant".
Vanessa aussi était artiste - elle a fondé avec Virginia et leur frère Tobie le groupe de Bloomsbury. "On dirait aujourd’hui que Vanessa était designer." Mais pourquoi son œuvre est-elle vue comme moindre, comme mineure par rapport à celle de sa sœur ? se demande la romancière. "Pourquoi un art qui se consacre à la décoration au motif, au textile, à l’intériorité, à la féminité, c’est moins valorisable ?" Pour Laura Ulonati, "c’est à cause de sa sœur si Vanessa a été oubliée", écrit-elle.
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