Yves Coppens a consacré sa vie à rechercher des traces de nos ancêtres. Son nom reste associé à celui d'une Australopithèque, la fameuse Lucy. Décédé le 22 juin dernier, RCF lui rend hommage en rediffusant cet interview intimiste où le paléoanthropologue raconte son parcours hors normes au micro de Thierry Lyonnet.
À l'heure où l'on parle transhumanisme et clonage, notamment avec les états généraux de la bioéthique, la question de nos origines continue de nous passionner. Rien d'étonnant pour Yves Coppens qui a consacré sa vie à rechercher des traces de nos ancêtres. Paléoanthropologue, professeur honoraire au Collège de France, il étaitdepuis 2014 membre ordinaire de l'Académie pontificale des sciences. Mais son nom reste associé à celui d'une Australopithèque, la fameuse Lucy, un ensemble de fossiles découvert en 1974. Avec 'Origines de l'Homme, origines d'un homme' (éd. Odile Jacob), ce sont ses propres mémoires que livre Yves Coppens.
Tous les philosophes que j'ai rencontrés me disent que la passion pour les origines de l'homme est naturelle, on a besoin de racines
En fait, Yves Coppens s'est d'abord spécialisé dans l'étude des proboscidiens, c'est-à-dire des animaux à trompe... Pas tout à fait les origines de l'homme ! Mais il a toujours voulu au cours de ses recherches 'prendre en compte l'ensemble de l'environnement'. Et au fond ce qu'il a toujours aimé c'est fouiller - il dit 'mon sol à moi' - que ce soit pour trouver des restes humains ou des poterie anciennes. 'Archéologie et paléontologie c'est un peu la même chose, tout ça se passe dans le sous-sol.'
D'ailleurs il s'en souvient comme si c'était hier : à l'âge de 14 ans, il a vécu une 'conversion à l'archéologie', qu'il compare volontiers à une conversion mystique. C'était sur une presqu'île de Bretagne en trouvant des poteries ancienne sur un chantier. À plus de 80 ans, il s'en souvient encore. 'Le choc a été si fort que je ne peux pas le décrire', confie-t-il. L'archéologie était déjà sa passion, mais en découvrant ces poteries, elle 'devenait alors extrêmement réelle'. Et depuis ça ne l'a plus jamais quitté.
Fouiller le sol pour savoir qui est l'homme et d'où il vient. De sa Bretagne natale, Yves Coppens est parti en expédition au Tchad, en Éthiopie, en Algérie, en Tunisie, en Mauritanie, en Indonésie et aux Philippines. Il dit avoir attrapé deux maladies, 'l'exotite' et 'l'archéologite'. Un virus que l'on a tous, quelque part : 'Tous les philosophes que j'ai rencontrés me disent que la passion pour les origines de l'homme est naturelle, on a besoin de racines.'
'Cet intérêt répond à des angoisses existentielles, écrit-il, d'où je viens ? Qu'est-ce que je fais là ? Pour adoucir leur peur de la mort tous les hommes ont créé des mythes d'origine, des genèses. La paléontologie semble être l'un de ces mythes, même si c'est une science qui a une approche différente.'
Yves Coppens résume l'apparition de l'homme en deux étapes fondamentales. Tout d'abord, il y a 10 millions d'années en Afrique tropicale, l'environnement des grands singes - ancêtres communs des chimpanzés et des hommes - se voit modifié par l'englacement de l'Antarctique. Changements qui poussent les pré-chimpanzés vers les zones forestières et les pré-humains vers les zones où la végétation est découverte. Pré-humains qui dès lors sont debouts la plupart du temps, ce qui amorce un 'déverouillage du crâne'.
Et puis, il y a 3 millions d'années, à la faveur d'un nouveau changement climatique, au nord cette fois, l'humain est apparu, toujours en Afrique. À la différence du pré-humain, il possède un système respiratoire supérieur qui entraîne une transformation du langage articulé. Il modifie son régime alimentaire, plus de viande et moins de végétaux, et devient chasseur. Son crâne enfin se modifie et les organes qui s'y trouvent se développent. 'Cet homme-là, avec cette tête-là, tape sur un caillou pour en faire quelque chose.' Il est dans l'anticipation, il a l'idée de l'avenir, bref 'il est quelqu'un d'autre'. Et il regarde vers le ciel pour comprendre sa fin et ses origines. 'Cette angoisse de la mort je la crois véritablement très ancrée dans le premier esprit humain, il y a 3 millions d'années.'
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