Depuis 2023, la région voit ses terres agricoles convoitées par des industriels étrangers, pour produire toujours plus des frites surgelées. Une tendance qui n’est pas sans impacts environnementaux, évoqués lors d’une émission spéciale Voix du Nord/RCF, en présence d’Alain Dequeker, Secrétaire général de l'Unpt, Union nationale des producteurs de pommes de terre et Thierry Dereux, Président de France Nature Environnement Hauts de France
La consommation mondiale de pommes de terre va continuer d’augmenter de 5 % d’ici 2030, selon le cabinet de conseil agricole CERESCO, et tout particulièrement celle des produits transformés comme les frites surgelées. Une tendance qui pousse les industriels à investir dans les terres fertiles des Hauts-de-France.
Maillage de la région
Trois nouvelles usines belges de transformation de pomme de terre sont en train de se développer sur tout le territoire, à Péronne, Cambrai et Dunkerque : Ecofrost (200 000t/an), Agristo (300 000t/an) et Clarebout (220 000t/an). Sans compter les investissements de 350M€ à venir de l’entreprise canadienne Mc Cain déjà installée. Une des conséquences est l’augmentation de la surface de culture de la tubercule qui devrait s’étendre sur près de 40 000 ha supplémentaires d’ici 2030 dans la région, soit 30 % en plus. « C’est beaucoup pour la pomme de terre qui représente actuellement 120 000 hectares dans les Hauts de France mais c’est peu, comparé aux 2,2 millions d’hectares de surface utile dédiées aux céréales dans la région. » tient à préciser Alain Dequeker.
Atouts pour le territoire
Cette perspective est vue d’un bon œil par une partie de la profession agricole car lucrative (activité plus rentable que le blé par exemple) et créatrice de centaines d’emplois par usine (350 postes rien que chez Agristo). Mais les professionnels n’en demeurent pas moins dans l’expectative. Produire de la pomme de terre coûte cher en investissement, notamment en matière de stockage (la tubercule se stocke juste après la récolte d’automne à 7 degrés). Et avec le changement climatique en cours (épisode de sécheresse ou de pluies intenses qui perturbent la production), la prise de risques n’est pas anodine du tout. Et ce d’autant plus que la production de pomme de terre n’est pas sans impact sur la ressource en eau et la biodiversité.
Pression sur l’eau
Thierry Dereux, Président de France Nature Environnement Hauts de France, liste ses aspects problématiques : « C’est d’abord une consommation d’eau avec 1,2 millions de m³ d’eau/an [pour l’irrigation et le lavage des pommes de terre], rien que pour le projet Agristo. Et on multiplie ce volume par le nombre d’entreprises. Notre deuxième crainte concerne ses champs infinis sans haie, au moment où on a des problématiques d’impacts climatiques sur le ruissellement : comment freiner ces eaux de pluie? »
Et d’évoquer également l’usage de pesticide supérieur aux autres grandes cultures. L’IFT, Indice de Fréquence de Traitement est de 16 (soit 16 passages de pesticides par an) contre 6,2 pour l’IFT du blé dans la région ou de 5,5 pour la betterave (Source Agreste). L'utilisation massive d'engrais chimiques et de produits phytosanitaires (pesticides, fongicides) pour maximiser les rendements provoque une pollution des sols et des eaux, notamment des nappes phréatiques et des cours d'eau. Également, le travail du sol pour la création de buttes et la récolte déstructurent le sol (arracheuses de plus en plus lourdes, tassant le sol en profondeur). Et les sols sont souvent laissés nus l’hiver. Enfin, les nuisances de ces usines pour les riverains sont nombreuses : odeurs, transports de camions, poussières.
Agroécologie
Alain Dequeker tient à rappeler la prise de conscience chez les agriculteurs de la nécessité de passer à des pratiques agroécologiques : « il y a un mouvement qui se crée autour de la conservation des sols, appelée agriculture régénérative, en particulier dans la filière de la pomme de terre : de nombreuses haies sont plantées sur des kilomètres, on met des couverts après la récolte pour regénérer le sol... » Et de citer l’initiative publique et privée Covalo, qui a pour objectif d’améliorer la vie du sol et l’empreinte carbone de la pomme de terre.
Spécialisations régionales
Face à ses projets industriels étrangers - respectueux du cadre réglementaire mais aux impacts significatifs sur l’environnement et la santé publique - certains se désolent de l’absence de politique publique régionale d’aménagement du territoire qui pourrait réguler ce capitalisme agricole. Mais pour Patrick Thierry, de l’association Picardie Nature, il ne faut rien attendre du politique : « En fait, ce sont des politiques nationales et européennes que de concentrer les outils de production sur un territoire - la pomme de terre dans les Hauts-de-France, l’élevage porcin en Bretagne … - pour réduire les coûts. Mais ça ne prend pas en compte les coûts cachés liés à la baisse de la qualité de l’eau ou l’épuisement des sols. » Une spécialisation par région qui coûte de plus en chère en matière de développement durable selon lui.
=> Retrouvez le débat Voix du Nord/RCF "Filière de la pomme de terre : comment rester rentable sans nuire à la planète ?" dans l'émission Commune Planète Hauts de France, réalisé par Fabrice Bourgis de la Voix du nord et Anne Henry de RCF, avec Thierry Dereux, Président de France Nature Environnement Hauts de France et Alain Dequeker, Secrétaire général de l'Unpt, Union nationale des producteurs de pommes de terre, en podcast et sur You Tube.
Dédiée à l'écologie intégrale, l’émission Commune Planète vous fait découvrir des solutions qui respectent l'environnement et les plus fragiles. A travers des rencontres, des reportages et des décryptages, Commune Planète cherche à comprendre les enjeux du réchauffement climatique, de la perte de la biodiversité et tente de répondre aux questions qui fâchent avec lucidité et espérance.
► Le vendredi à 13h15 sur RCF Hauts de France • Rediffusion le samedi à 10h00.
Une fois par mois l'émission et co-produite et co-diffusée en partenariat avec La Voix du Nord.
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