Le Secours catholique vient de publier son rapport 2023 sur la pauvreté. Il montre une intensification de la pauvreté, et le Finistère n'est pas épargné. C'est ce que constatent sur le terrain les 31 équipes locales et les 850 bénévoles du département, nous explique François Mandil, le délégué diocésain du Secours catholique.
Combien de personnes sont accompagnées par le Secours catholique dans le Finistère ?
On estime que dans le Finistère en 2022, nous avons accompagné environ 6 000 personnes. Mais derrière ce chiffre, il y a parfois des familles, ce qui fait plus de monde. Par contre, on a du mal à faire la somme de toutes les personnes accueillies dans nos cafés solidaires, dans nos boutiques solidaires, des gens qui passent juste prendre un café parce qu'ils ont dormi dehors ou parce qu’ils sont isolés, qui viennent participer à un atelier, etc. Il y a ce chiffre de 6 000 personnes que nous accompagnons dans le Finistère en 2022, mais on touche forcément beaucoup plus de monde !
Le Secours catholique en Finistère note les mêmes tendances qu’au niveau national, en particulier une intensification de la pauvreté ?
On constate cette intensification sur les personnes que nous accueillons. Un chiffre en particulier, c'est la baisse de ce qu'on appelle le revenu médian. A l'échelle de toute la France, le niveau de vie médian en France est de 1 836 euros. Ça veut dire qu'il y a autant de gens qui touchent plus de 1 836 euros que de gens qui touchent moins de 1 836 euros. Le taux de pauvreté est calculé par rapport à cela et il est de 1 100 euros, et le taux d'extrême pauvreté de 830 euros. Les gens que nous rencontrons ont un revenu médian de 558 euros, c'est à dire que les trois quarts des personnes que nous rencontrons dans le Finistère vivent sous le taux d'extrême pauvreté ! Ce dont on se rend compte, c'est que si le niveau de vie médian en France a plutôt tendance à augmenter légèrement, en dix ans, dans le Finistère, le taux de revenu médian des personnes accueillies par le Secours Catholique a diminué en euros constant de 75 euros, on est passé de 632 euros à 558... Le revenu médian des personnes que nous accueillons au Secours catholique dans toute la France diminue, et il diminue encore plus vite dans le Finistère.
Cela veut dire que les situations sont de plus en plus complexes, parce qu’un point de fragilité en entraîne d'autres par ricochet ?
On s'est rendu compte que les différentes crises que nous sommes encore en train de traverser, et en particulier le Covid et l'inflation, ont détruit le petit filet de sécurité qu'avaient les ménages en situation précaire. Quand on n’a plus de filet de sécurité, au moindre accident, on bascule dans la précarité. Si on prend l'exemple de l'inflation, elle est surtout forte sur les produits de première nécessité, sur l'alimentation et sur l'énergie. Ce sont deux secteurs qui pèsent plus lourds proportionnellement dans le budget des ménages précaires. Le premier budget sur lequel les gens vont rogner, c'est l'alimentation. On a des gens qui viennent nous voir parce qu’ils sont obligés de sauter des repas.
A ce sujet, parmi les actions que le Secours catholique du Finistère mène il y a ce projet d'épicerie solidaire à Brest…
Exactement. On espère ouvrir fin janvier à Brest. Je lance un appel : on a encore besoin de quelques bénévoles ! C'est un projet particulièrement intéressant parce qu’on se rend bien compte que la distribution alimentaire n'est pas une solution. On est dans une impasse. Cela ne sort pas les gens de la précarité. Il faut répondre à l'urgence, mais on voit bien que cela ne résout rien sur le long terme. Ce qu'il faut savoir, c'est que la distribution alimentaire en France est organisée par une loi, non pas de lutte contre la pauvreté, mais une loi de lutte contre le gaspillage alimentaire. Les grandes surfaces défiscalisent leurs surplus, l'État les rachètent, et plutôt que de les jeter : ça tombe bien, il y a des pauvres, on va leur donner ! Et donc aujourd'hui il y a un système qui fait qu’il y a des gens qui ont tout intérêt et à faire de la surproduction et à ce qu'il y ait des pauvres pour éponger la surproduction. Quant aux grandes surfaces, elles peuvent défiscaliser donc c'est tout bénéfice pour elles.
Vous voulez donc réfléchir autrement ?
Par exemple, avec un projet de « sécurité sociale de l'alimentation » ! Aujourd'hui dans nos accueils, on a très peu de personnes qui viennent nous voir en nous disant qu’ils ne peuvent pas payer le médecin. Parfois, il y a des frais de santé onéreux qui ne sont pas pris en compte par la Sécurité sociale... Mais ne pas pouvoir payer le médecin, on n'a jamais personne. On trouverait cela choquant. Je trouve choquant, et j'aimerais que tout le monde trouve cela choquant de savoir qu'aujourd'hui, il y a des gens qui sont obligés de venir voir les associations caritatives en disant « Je n'ai pas de quoi manger ». On peut tout à fait imaginer un système, sur le modèle de la sécurité sociale de la santé, mais pour l'alimentation, et qui permettrait de rembourser certains produits, notamment ceux des producteurs locaux. En plus, ça soutiendrait les paysans localement ! Un système de sécurité sociale de l'alimentation qui permettrait que plus personne n'ait besoin de l'aide alimentaire. La sécurité sociale de la santé a permis, en très peu de temps, une augmentation de l'espérance de vie de 20 ans. Cela a été un bénéfice pour toute la société. Je prends cet exemple pour dire que la distribution alimentaire de colis est une impasse. Au Secours catholique, dans une situation d'urgence, on préfère donner des tickets services pour que les gens aillent eux-mêmes faire leurs courses dans des magasins et qu’ils puissent choisir, comme tout le monde, de façon plus digne. Mais on a besoin d'inventer un nouveau système et le projet d'épicerie sociale, tel que celui qui est en cours à Brest, illustre cette logique d'une nouvelle solidarité autour de l'alimentation.
Parmi les personnes qui sont les plus touchées par la pauvreté en 2023, il y a les femmes ?
Tous les ans, lors de notre rapport statistique, on met l'éclairage sur un élément important du moment, et en l'occurrence on voit depuis plusieurs années une tendance qui se confirme et qui se renforce : les femmes sont de plus en plus en première ligne ! La majorité des femmes que nous recevons vivent seuls avec des enfants. Les ruptures familiales pèsent beaucoup plus sur sur les femmes et sur leurs conditions de vie. Ce n’est pas une surprise. La précarisation des femmes est plus rapide que celle des hommes et le Finistère ne déroge pas à la règle.
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