"Ton sourire ne me quittera jamais." Christine Simon rend hommage à Khadija, cette femme qui a connu la précarité et vécu de longues années dans la rue, avant de mourir à l'âge de 69 ans.
'CONTEMPLATION', UNE CHRONIQUE À RETROUVER DANS L'ÉMISSION 'COMMUNE PLANÈTE' - Commune Planète, c'est la nouvelle émission d'écologie sur RCF. Un rendez-vous hebdomadaire proposé par Anne Kerléo à découvrir dès ce vendredi 10 janvier 2020.
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Je voudrais aujourd'hui rendre hommage à une dame que j'aimais. Elle s'appelait Khadija, mais tout le monde l'appeler Katy. Notre première rencontre : il y a 15 ans déjà, elle faisait la manche à la gare, nous avons bu un café ensemble. C’était le matin, elle tremblait. Le froid ou le manque d'alcool ? Elle souriait. C'est ce sourire que je garderai toujours en mémoire...
J'ai peu à peu appris à la connaître. Elle était originaire de Somalie, d'une famille plutôt aisée. À 18 ans, elle a rencontré un jeune militaire français, qu'elle a épousé. La voilà dans le Nord de la France, des rêves plein la tête. Trois enfants sont nés de cette union. Et puis, tout a basculé. Est-ce la maladie mentale ou l'alcoolisme qui l'ont conduit dans la rue ou est-ce la rue qui l'a rendue malade ? La femme que j'ai connue était malade, elle était délirante et buvait comme un trou, elle faisait peur aux passants et pourtant...
Au fil du temps, son état empirait, elle refusait les soins, elle ne voulait pas aller dormir dans un foyer. Elle acceptait pourtant notre amitié. Que de moments passés à rire ou à essayer de la raisonner. Cependant, elle était en danger. L'Abej, une association au service des personnes de la rue, a réussi à la faire hospitaliser en psychiatrie. Elle était furieuse. J'allais la voir régulièrement. Les éducateurs de l'Abej aussi, ils lui proposaient une place, elle aurait sa chambre pour elle toute seule, elle serait en sécurité. Mais elle continua de refuser.
À sa sortie, après deux mois d'hospitalisation, ils sont venus la chercher, mais elle ne les a pas suivis. Elle a passé une nuit dans la rue, mais après deux mois au chaud le choc a été rude. Au matin, elle est venue me trouver et m'a demandé de la conduire dans ce foyer. Elle y a vécu huit années sereines. Elle était soignée, modérée dans sa consommation d'alcool et de cigarettes. Au début, elle continuait à me rendre visite, elle en profitait pour faire la manche et s'enivrer, jusqu'à une chute qui la fit renoncer à sortir.
J'allais la voir régulièrement. Elle manifestait toujours beaucoup de joie et de reconnaissance. Elle disait que c'était grâce à moi qu'elle était là, ce n'est pas tout à fait vrai mais ça me faisait plaisir. Il y a beaucoup d'autres choses que je voudrais dire d'elle. Son élégance, elle avait toujours plein de bijoux, elle aimait se maquiller. Son humour. Mais surtout sa tendresse. Je sais qu'elle m'aimait et je l'aimais aussi.
Et bien sûr son sourire... À chacune de mes visites, elle me disait qu'elle priait chaque soir pour moi et que ce n'est pas grave qu'elle soit musulmane et que je sois chrétienne. Et puis elle est partie, à 69 ans, entourée de ceux qui veillaient sur elle. Merci à l'Abej pour son accueil respectueux des personnes les plus abîmées par la vie. Merci à toi ma Katy, ton sourire ne me quittera jamais. Je sais que là où tu es, tu veilles sur ceux que tu aimais.
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