Depuis quelques temps déjà, de nombreuses voix s’élèvent pour remettre en question la vision très pyramidale selon laquelle l’homme serait au sommet de la création, donc que le règne animal lui serait inférieur voire assujetti. Directrice de recherche au CNRS, Emmanuelle Pouydebat porte ce message et accorde une importance majeure à l’étude du comportement animal.
Surnommée "Emmanuelle au pays des merveilles" par le paléontologue Yves Coppens - à l’origine de la découverte de Lucy -, Emmanuelle Pouydebat est devenue une spécialiste de l'étude de l'intelligence animale et s’attache à la rendre accessible au grand public. Malgré de longues années d’expérience, la médaillée d’argent du CNRS ne cesse de s’émerveiller sur l’inventivité et la créativité des comportements animaux.
Emmanuelle Pouydebat a 17 ans lorsqu’elle a un "coup de foudre intellectuel" pour le paléoanthropologue Yves Coppens qui vient confirmer l’intérêt qu’elle portait à son travail et à ses livres. "C'était un conteur, c’était incroyable. Je me suis dit que je voulais devenir Yves Coppens", sourit-elle.
Elle commence donc par s’intéresser à la paléoanthropologie avant de réaliser qu’elle est davantage passionnée par le vivant et la question des comportements, notamment par le lien que les animaux entretiennent avec les outils. Plus tard, elle est témoin de "l’ouverture et la bienveillance" d’Yves Coppens, membre du jury de sa thèse. Les deux chercheurs ont en commun de vouloir diffuser leur science au plus grand nombre "quitte à simplifier les choses" : l’objectif est de donner envie au grand public de s’intéresser aux animaux ou à la paléontologie.
Rien pourtant ne la prédestinait à cette carrière de chercheuse. Emmanuelle Pouydebat grandit au septième étage d’une tour avec "vue sur le périph". Ce sont ses vacances en Touraine chez ses grand-parents qui lui permettent d’établir "un lien avec les bestioles". Lien qui semble concerner toute la famille, puisque la chercheuse se dit héritière d’une "passion presque inconsciente". Dans son enfance, elle pouvait "passer quatre heures à regarder une coccinelle pour comprendre son atterrissage, son décollage".
Grande joueuse de tennis, Emmanuelle Pouydebat apprend l’acharnement et la persévérance en compétition. "Ça a été une école de la vie et ça m’a permis d’en arriver là aujourd’hui" estime la chercheuse, qui a longtemps jonglé entre petits boulots et recherche pour boucler le mois : "j’ai été longtemps précaire, mais l’amour de ce que je faisais m’a aidée à tenir". Pour tenir, elle est notamment soigneuse au zoo de Thoiry (78) : "je me suis régalée, c’était hyper instructif."
Pour la chercheuse il s’agit "d’un ensemble de comportements qui permettent à un individu de résoudre des problèmes, de sa capacité à s’adapter". Au regard de cette définition, la suprématie humaine doit être relativisée. L’intervenante soutient haut et fort que "l’homme n’est pas au sommet de la pyramide de la création : il y a une très grande diversité d’intelligences parmi les êtres humains". Ainsi, certaines espèces animales ont des capacités cognitives largement supérieures à celles de l’homme : les chimpanzés ont une mémoire spatiale deux fois supérieure à celle d’étudiants ingénieurs; "les chimpanzés sont deux fois plus rapides que nous et les fourmis ont de véritables GPS intégrés".
"Chaque espèce est unique ! Et ça vaut aussi pour l’espèce humaine", insiste Emmanuelle Pouydebat, qui prend l’exemple du comportement face à la mort. "Les humains ne sont pas les seuls à enterrer les morts : les fourmis aussi le font". Pour elle, l’anthropomorphisme a mis trop de distance avec l’animal ; "il y a des comportements qu’on n’a pas voulu voir alors qu’ils sont fascinants". À l’image de celui d'Aldo, un macaque qui l’a sauvée des griffes de femelles alors qu’elle était soigneuse au zoo de Thoiry : "il m’a épouillée pour apaiser la situation et pour que ça se passe paisiblement", se souvient-elle. La chercheuse milite pour mettre les émotions au cœur des sciences et pour lutter contre la violence animale.
Quant au bien-être animal, qui consiste à "ce qu'il vive la même chose qu'il soit dans son milieu naturel ou ailleurs”, Emmanuelle Pouydebat est consciente que c’est une vraie question sociétale. Et concernant les zoos ou les cirques, elle n’a "pas de réponses". Ce qu’elle sait, c’est qu’elle a besoin de se sentir utile. Et pour ce faire, elle veille à ce que les trois quarts de ses projets "aient une visée". En ce moment par exemple, Emmanuelle Pouydebat s’intéresse à la trompe de l’éléphant et travaille main dans la main avec des roboticiens pour que les données biologiques puissent servir la science.
"Concernant mon émerveillement, c’est de pire en pire !", ironise la chercheuse. "En vieillissant, je me rends compte du caractère unique du comportement animal et je suis toujours en extase". Un état d’extase qui la pousse à agir pour sauver la biodiversité, et à espérer que "ceux qui ont le pouvoir" proposent davantage de solutions de leur côté.
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