A 27 ans, Stacy Algrain est journaliste : elle a fondé le media La Corneille, dédié à la connaissance du vivant. La clé de son engagement se trouve dans son enfance, au bord de l'étang de Berre, un bel endroit pourtant pollué en raison de la présence d'usines. C'est à cette pollution qu'elle attribue aujourd'hui la maladie chronique qu'elle a déclarée à 18 ans. Elle se sent trahie par les pouvoirs publics qui ne les ont pas protégés, elle et toutes les personnes dont la santé est altérée pour les mêmes raisons.
A 27 ans, Stacy Algrain semble avoir trouvé sa place dans le monde. "Y avait pas de plan, y avait pas d’étapes mais mes petites jambes m’ont conduit là et c’est le meilleur endroit où je puisse être" confie-t-elle dans un sourire. Cet endroit c’est La Corneille, le média en ligne, dédié à la biodiversité, qu’elle a fondé. Celle qui se définit comme "une fille du sud" vit désormais en région parisienne. Et pour notre rencontre, elle a choisi le Jardin des Plantes.
C’est une journée printanière de fin mars, il fait bon dans le jardin et nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui s’y promènent. Stacy aime ces lieux où l’on se mêle et se rencontre, elle essaie d’imaginer ce qui a conduit ici les pas de chacun et chacune. Et elle s’émerveille devant les non-humains qui peuplent le lieu, plantes et animaux. "En plein cœur de Paris, remettre du végétal et du vivant je pense que c’est important" énonce-telle. Pour elle, ce jardin n’est pas : "un décor qui a été fabriqué pour nous, pour que ce soit beau". Elle y voit surtout "le travail des naturalistes, des botanistes qui ont sélectionné des plantes, pour faire un travail de mémoire ou en tout cas de sauvegarde de certaines espèces, nous montrer toute la beauté du vivant, végétal, animal puisqu’on a des corneilles, pas mal d’espèces d’oiseaux qui viennent ici".
L’émerveillement c’est de dire c’est tellement beau que j’ai envie de percer tous ces secrets
L’émerveillement est pour elle la clé de tout. La clé de notre avenir. "L’émerveillement ce n’est pas juste de la fascination, ce n’est pas juste de dire ce que je regarde c’est beau, c’est de dire c’est tellement beau que j’ai envie de percer tous ces secrets, j’ai envie de pouvoir mettre des noms, retracer une histoire et entrer en relation. Mais c’est compliqué parce qu’on ne nous transmet plus ça à l’école". Pas transmis à l’école. Mais à la maison si. Au potager avec son père. Et auprès de sa mère qui "a travaillé dans l’agriculture". Et surtout lors de promenades avec eux, ses parent : "c’était des moments privilégiés avec mon papa et ma maman qui étaient ouvriers et n’avaient pas beaucoup de temps à la maison, donc c’étaient des petits moments volés avec eux, qui permettaient aussi de se changer les idées parce qu’il y avait des moments pas toujours très simples. C’était des moments de bonheur un peu pur où il n’y avait rien d’autre, que juste ramasser des glands et des cailloux dans ces poches".
Ces moments de bonheur en famille, Stacy les vit à Berre l’Etang, petite ville de 13 000 habitants. Enfant, elle ne voit encore qu’une partie du décor qui l’entoure, elle voit plutôt la carte postale qui lui est plus tard renvoyée lorsqu’elle dit d’où elle vient : "souvent quand je dis que je viens du sud on a cette image d’un cadre idyllique, le soleil, les cigales. Il y avait tout ça en effet dans l’endroit où j’ai grandi, mais il y avait surtout une usine pétrochimique, juste derrière la maison de mes parents". Car Stacy a grandi au bord d’un étang qui héberge la deuxième concentration de sites Sevezo en France, avec des usines tout autour. A l’époque, elle ne se posait pas de questions sur ces usines et leurs cheminées "parce que ça faisait partie du paysage, que ça avait toujours été là depuis des générations… plus personne n’y prêtait trop attention".
une maladie chronique inflammatoire pour laquelle on n’a pas encore de nom, ce qui est fâcheux
Et puis, quand elle a 18 ans, tout change. Elle raconte : "j’ai commencé à être malade, au niveau des articulations du bas du corps, au niveau de mon système digestif… une maladie chronique inflammatoire pour laquelle on n’a pas encore de nom, ce qui est fâcheux". Alors elle s’interroge : a-t-elle une alimentation saine et équilibrée ? Fait-elle assez de sport ? A-t-elle une bonne hygiène de vie ? Et elle essaie d’améliorer tout cela. Malheureusement elle ne va pas mieux. Alors elle commence à regarder son environnement et prend conscience qu’elle est entourée de "cheminées qui rejetaient régulièrement des fumées assez impressionnantes".
Contrainte à l’immobilité par la maladie, elle utilise son temps à faire des recherches sur internet. Et elle prend conscience d’une réalité qu’elle ne soupçonnait pas : "je suis tombée sur des études expliquant qu’on avait un taux de cancer deux fois supérieur à la moyenne nationale, des taux de maladies chroniques qui explosaient". Alors elle se sent trahie. Parce que personne ne lui avait rien dit. Parce que les pouvoirs publics ne l’avaient ni protégée ni même informée. Elle s’intéresse alors "à l’entrelacement entre ce qu’on fait à l’environnement et ce qu’on fait aussi aux corps des gens qui habitent dans ces environnements-là". Elle est frappée par le contraste entre "ce qu’il y avait de plus beau sur notre planète et toute la destruction que notre système, notamment capitaliste, pouvait engendrer". Et petit à petit vient le militantisme. Et l’envie d’agir, puisque d’autres ne l’avaient pas fait : "dans ma ville c’étaient des politiques qui n’avaient pas rempli leur rôle. On ne m’a pas informée, pas protégée et si tous ces gens-là ne peuvent pas me protéger alors que je les ai élus et que mes parents les ont élus pour ça, peut-être que c’est à moi de faire le job".
Alors Stacy étudie, lit, voyage, rencontre. Après une école de commerce à Marseille, elle fait un master en politiques environnementales à Sciences Po. Ses études la conduisent à San Diego, Singapour et Mumbaï. "A l’époque on prenait encore l’avion sans trop se poser de questions" s’excuse-t-elle, tout en expliquant combien ces expériences lui ont permis ouverture et compréhension des enjeux environnementaux. A Sciences Po, elle découvre un monde qui n’est pas le sien. Au début elle se sent mal parce qu’elle n’a pas les mêmes références : "j’avais pas lu tous ces grands classiques, j’avais pas la même manière de m’exprimer, pas la même manière d’écrire". Puis elle réalise que "c’est une énorme force, de ne pas voir le monde de la même manière et d’apporter des vécus et des expériences qui sont totalement invisibilisés dans tous les livres et dans tous les cours". Elle se dit que sa place est bien là et qu’elle va "utiliser les armes des dominants pour renverser ce rapport de force". Mission accomplie lorsqu’elle se retrouve face au patron du MEDEF dans un débat télévisé : elle lui dit que "sa manière de concevoir le monde est dans le mépris total de ce que je [sa] famille peut représenter".
On parle beaucoup de climat, mais il y a une autre crise qui est en train de nous arriver de plein fouet : c’est celle de l’effondrement du vivant
Aujourd’hui, avec la Corneille, elle veut mobiliser sur la question du vivant. "On parle beaucoup de climat, mais il y a une autre crise qui est en train de nous arriver de plein fouet : c’est celle de l’effondrement du vivant" explique-t-elle. Dans son travail de journaliste, elle souhaite concilier "la raison de la science et le côté émotions et partage d’expériences individuelles, qu’on a tendance à délaisser parce qu’on juge que ça n’aurait presque pas de valeur". Pour transmettre des connaissance et cultiver l’émerveillement face au vivant, Stacy et son équipe élaborent des newsletter et des articles. Mais il veulent transmettre "à travers des expériences". Et pour cela, ils ont imaginé un nouveau projet : "on lance les veillées de la Corneille. On va créer des veillées au coin du feu, en intérieur dans un premier temps, puis en extérieur en forêt, et donner à des urbains -qui sont peut-être encore plus déconnectés du vivant que le reste de la population- l’opportunité d’aller en nature avec des naturalistes, des botanistes, des ornithologues". Pour contribuer à la sortie d’un monde où "on peut plus nommer de noms de marques que de noms d’oiseaux ou d’essences d’arbres".
Stacy Algrain dit que ce qu’elle fait aujourd’hui la rend "heureuse et puissante" et concilie tous ses rêves d’enfant : "je voulais être reporter de guerre à un moment donné et la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité c’est un peu la nouvelle guerre de notre époque. Je voulais être biologiste marin et je me mets à écrire sur la biodiversité". Jamais à cours d’idées et d’envies, elle s’est lancée cette année dans des études de botanique, un cursus sur 3 ans. Toujours mieux comprendre ce monde qui l’émerveille. Un émerveillement décidément contagieux.
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