À 8 heures, Yvette, 87 ans, se réveille au son de son pilulier intelligent qui lui rappelle que c’est l’heure de la première prise de son médicament. Elle se lève, enfile ses chaussons connectés pour éviter les chutes et se rend à la cuisine. Juste à temps pour prendre un verre d’eau, c’est son verre automatisé qui vient de s’allumer pour lui dire qu’elle doit s’hydrater. Petit tour à la salle de bains équipée de capteurs de mouvements au cas où elle chuterait en se lavant. Comme Yvette a décidé de sortir prendre l’air dehors, elle enfile sa ceinture connectée équipée d’airbags qui la protège en cas de chute et ses chaussures connectées géolocalisables au cas où elle s’égarerait. Si elle dépasse le kilomètre autour de son logement recommandé pendant le confinement, les chaussons bipent à n’en plus finir. La police est prévenue si elle n’obéit pas au quatrième bip.
Quand elle rentre, elle ouvre le frigo haute technologie qui va enregistrer qu’elle a bien préparé son repas. Aujourd’hui, comme hier, elle n’a pas faim et jette son repas mais heureusement, la poubelle ne le sait pas. Dans l’après-midi, elle étudie la publicité qu’elle vient de recevoir pour un coussin connecté qui promet de lui faciliter la vie de façon moderne et ludique. La journée passe. Elle se sent un peu fatiguée aujourd’hui. Dans la soirée, elle reçoit quelques photos de ses petits-enfants grâce à une box reliée à sa télévision. 22 heures, Yvette va se coucher. Elle se couche dans son lit rempli de capteurs qui analysent tous ses paramètres de sommeil. Elle a bien pris ses médicaments, elle s’est hydratée, s’est servie son repas et elle n’est pas tombée. Mais aujourd’hui, comme hier Yvette n’a vu personne, n’a pu dire à personne qu’elle se sentait fatiguée et avait sans doute de la fièvre.
La journée d’Yvette est fictive, mais tous les services ou objets que je viens d’évoquer existent ou sont en cours de développement. S’il est évident que certaines nouvelles technologies peuvent apporter des solutions profitables à nos aînés ou perfectionner des dispositifs existants, le potentiel du marché lié à l’avancée en âge aiguise l’appétit de certains entrepreneurs et la multiplication de ces objets connectés destinés aux personnes âgées interroge.
Car, à qui sont transmises toutes ces données récoltées ? Aux familles à qui les entrepreneurs font miroiter la promesse d’être rassuré en pouvant observer en permanence la vie de leurs proches âgés. Veiller ou surveiller ? Car si Yvette invite du monde, si Yvette rencontre l’amour (il n’y a pas d’âge pour ça), sa famille sera en courant. Est-ce que c’est ce que souhaiterait Yvette ? Est-ce que c’est ce que nous souhaitons pour nos aînés ou pour nous-mêmes, vieux en devenir ? Est-ce que la volonté louable d’aider ses proches à rester vivre à domicile doit se traduire par une perte importante du droit à la vie privée et à l’intimité ? Et ne serions-nous pas tentés, par manque de temps ou d’envie, de ne pas penser à appeler ou passer voir Yvette et de la laisser s’enfermer dans la spirale de l’isolement, en nous contentant des données reçues sur notre téléphone puisqu’elles nous montrent qu’elle est vivante ?
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