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La vidéosurveillance : une efficacité fantasmée ?

Un article rédigé par Florian Perray - RCF Anjou, le 21 mars 2024 - Modifié le 22 mars 2024
L'invité de RCF AnjouOlivier Tesquet, journaliste pour la cellule investigation de Télérama

L'association d'avocats Confluence pénale de l'Ouest organisait jeudi 21 mars sa journée de rencontre et de formation Police / Justice. Parmi les invités, le journaliste et auteur Olivier Tesquet. Ce dernier s'interroge sur le développement et l'impact des systèmes de surveillance utilisé par les forces de l'ordre sur nos sociétés actuelles.

Image par <a href="https://pixabay.com/fr/users/webtechexperts-10518280/?utm_source=link-attribution&utm_medium=referral&utm_campaign=image&utm_content=7267551">Joseph Mucira</a> de <a href="https://pixabay.com/fr//?utm_source=link-attribution&utm_medium=referral&utm_campaign=image&utm_content=7267551">Pixabay</a>Image par Joseph Mucira de Pixabay

Olivier Tesquet est journaliste pour la cellule enquête de Télérama et auteur de plusieurs livres, dont « A la Trace, enquête sur les nouveaux territoires de la surveillance » paru en 2021. Son combat : alerter sur la montée du tout sécuritaire et notamment du danger que représente la vidéosurveillance.

 

Votre sujet de table ronde concerne les nouveaux outils d’enquêtes utilisés par les forces de l’ordre. Concrètement, de quoi parle-t-on ?

Olivier Tesquet : « On parle de beaucoup de choses en fait. On peut citer les outils légalisés par la loi renseignement de 2015. Je pense à ceux qui permettent de faire de l’intrusion informatique, des logiciels qui enregistrent tout ce qu’on tape sur un clavier. Il y a aussi des dispositifs de sonorisation, des balises GPS ou de géolocalisation en temps réel. On peut aussi évoquer les outils capables de faire de l’extraction de données sur les téléphones. Et puis un gros morceau, sur lequel la loi dit encore peu de choses, les dispositifs de reconnaissance faciale et biométrique qui, là aussi, sont réclamés par les enquêteurs pour résoudre leur dossier. »

 

Ces technologies, finalement, ce sont des techniques d'espionnage.

« La frontière entre dispositif d’enquête et surveillance est ténue ! La limite c’est évidemment de voir si la surveillance est encadrée et légale. On peut la regarder avec deux paires de lunettes très différentes. »

 

Ce sont des outils devenus indispensables pour les enquêtes de police modernes ?

« Véritablement indispensable je ne sais pas. Mais ils le sont en tout cas dans le discours ! Il y a une inflation de demandes de technologies, y compris dans les sphères les plus élevées des ministères. Quand il y a eu la question de la légalisation des drones, même si on est plus dans du maintien de l’ordre dans ce cas précis, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, était revenu plusieurs fois à la charge pour faire légaliser ces dispositifs. Donc on a cette inflation des discours sécuritaires qui, en plus, ne sont pas corrélés à une vraie utilité des technologies.

Moi, ça fait dix ans que je travaille sur ces sujets et ça me frappe de voir à quel point, systématiquement, on réclame des dispositifs à corps et à cris sans jamais évaluer leur efficacité réelle ! Si je prends l’exemple de la vidéosurveillance : Ça fait des années que la cour des comptes demande une évaluation sérieuse de cette technologie, car ça a un coût pour le contribuable. Ce bilan n’arrive jamais ! Les industriels eux-mêmes nous disent :  « On pense que ça marche mais on a aucune certitude », ….

Il y a un ou deux ans, une enquête est sortie grâce au travail d’un chercheur qui a pu accéder à des données, ce qui est déjà un exploit. Et finalement on constate que la vidéosurveillance a joué un rôle dans la résolution d’environ 1% des enquêtes. On est dans un gain plus que marginal. »

 

. Malgré ce que vous dites sur le manque de données concrètes. En Anjou, c’est une technologie qui se développe rapidement. Dans l’agglomération d’Angers par exemple, elles étaient 3 sur 29 à l’utiliser en 2008. Elles sont 16 aujourd’hui. Comment est ce que l'on peut expliquer ce succès ?

« C’est la rencontre classique entre l’offre et la demande. Il y a une offre industrielle, ça sert à faire vivre tout un tas d'entreprises. Et puis en face, on a une demande politique assez forte. Depuis des années, des gouvernements de droite ou de gauche nous disent « la sécurité 1ère des libertés » ! Et comment mieux traduire en acte ces discours qu’en recourant à cette technologie ?

En fait, on répond à ce sentiment d’insécurité par un sentiment de sécurité. Il y a  toujours cette croyance, quasi religieuse, dans le fait que la technologie, un peu à l’image du film Minority Report, va permettre de prévenir le crime. Or c’est rarement comme ça que ça se passe… »

 

. La vidéo-surveillance algorithmique doit être testée à Paris lors des prochains JO. Certains craignent le développement d’une reconnaissance faciale. Est-ce que l'on cède au tout-sécuritaire ?

« Au départ, il était simplement question d’installer une phase de test pour les Jeux Olympiques, avec une reconnaissance algorithmique, moins poussée que la reconnaissance faciale. Sauf que, même cet outil, va modifier le comportement qu’on adopte dans l’espace public. La caméra ne va plus simplement dire qu’on est passé dans un endroit A ou B, mais va analyser notre comportement. On a donc cette expérimentation, et quelques temps après, la ministre des sports déclare que si cette expérience est concluante, elle serait pérennisé…

Là encore, on en revient à la justification d’une technologie quand on a pas de bilan concret à apporter sur son efficacité. Mais tout porte à croire que l’on va vers une banalisation de cette technologie avec, au bout du chemin, l’installation de la reconnaissance faciale. »

 

Je vais me faire l’avocat du diable, mais si je n’ai rien à cacher, je n’ai rien à craindre du développement de la vidéosurveillance.

« L’argument du rien à cacher on l’entend beaucoup. Mais la technologie peut se tromper ! Aux Etats-Unis, on a des exemples de personnes inquiétés par la police ou emprisonnés car le logiciel de reconnaissance faciale affirmait les avoir vu près d’une scène de crime ou de délit alors qu’il ne s’agissait pas d’eux. Le risque, c’est que demain, nous allons potentiellement assister à l’industrialisation d’un arbitraire policier ou technologique susceptible d'entraîner des conséquences, y compris pour les personnes qui n’ont rien à se reprocher. »

 

Et il n’y a aucune possibilité de poser un cadre strict autour de ces technologies ?

« C’est tout l’enjeu du règlement européen sur l’intelligence artificielle qui vient d’être adopté à Bruxelles, après trois ans d’âpres négociations. D’ailleurs, la France a poussé pour avoir une exception sécuritaire la plus large possible, notamment concernant l’exploitation de la reconnaissance faciale a posteriori. A priori il y a une ligne rouge sur la reconnaissance faciale en direct, mais le texte est plus souple sur d'autres points.

On a donc un premier cadre, mais je pense que dans un avenir proche, on aura une législation nationale sur cette question. D’où l’intérêt pour la France d’avoir une législation souple pour que le législateur ait les coudées franches au niveau national. Je rappelle, pour l’anecdote, que quand le parlement européen actait l’interdiction de la reconnaissance faciale dans l’espace public, le même jour, le sénat étudiait une proposition de loi pour installer une expérimentation de reconnaissance faciale ! On voit qu’il peut y avoir de grandes différences d’interprétation. »

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