Écrire, c'est lutter pour la vie, pour notre vie mais aussi pour notre survie en tant que civilisation. L’écologie a besoin de vivants. Elle a besoin de héros. Elle a besoin de récits. Elle a besoin de se plonger dans de longues réflexions nourrissantes.
Laissez-moi aujourd’hui, en tant qu’écologiste, vous faire un plaidoyer pour la littérature ! Pour moi il y a principalement un intérêt sur la forme et un autre sur le fond.
Sur la forme : l’acte même de lire un roman demande du temps, de l’imagination et envoie vers un ailleurs, il est une brise d’air frais dans un monde suffoquant. Pour beaucoup, dont je fais partie, la lecture est un refuge, la matérialisation provisoire de rêves, au fur et à mesure des pages qui s’égrènent. Du lecteur, le livre fera partie intégrante de son histoire, de son identité presque parfois. Il en fera peut-être un ou une écrivain qui voudra montrer le monde qu’il a en lui. Il est l’outil magnifique, vital même, de l'introverti pour l’expression de sa vie intérieure.
Le mot "vital" est pesé, car j’en connais. Le livre est une nourriture de l’âme. Le papier aide à découvrir, il fait rêver d’envol, de prendre une caravelle pour traverser les océans toutes voiles dehors depuis la nuit des temps. Vous me direz… Netflix aussi. Mais aux dernières nouvelles, ce sont bien les livres de Tolkien, Martin, JK Rowling et Lewis qui sont devenus des films et des séries et non l’inverse. Ce sont eux qui inventent des maisons de sorciers et des langues elfiques. C’est toujours le lecteur qui dit au cinéphile "argh ça c’est pas écrit comme ça dans les livres !" et non l’inverse. Simple boutade certes, il n’y a aucune concurrence entre les deux. Mais simplement pour dire que le livre stimule quelque chose en nous depuis des siècles, il a le souci du détail, et comment créer du fond si l’outil n’est pas bon sur la forme ? Il l’est.
Pour ce premier point, je terminerai avec deux remarques de forme : à tous ceux qui se disent "ah mais comment faire pour que mes enfants lisent des livres ?", lisez-en vous-mêmes, et mettez en partout. PARTOUT ! Un ami père de famille en a mis dans toutes les pièces de sa maison. Ne vous inquiétez pas, les enfants lisent. Alors certes, l’intégrale de "One Piece" est cher, mais vous ne le regretterez pas.
Et puisqu’on parle d’écologie, seconde remarque, car c’est cela aussi l’écologie : dans notre pays, et je sais de quoi je parle, il y a 14% d’illettrés. 14% ! Alors avant de vouloir créer des startups à tout va aux anglicismes douteux, la start-up nation ne devrait pas oublier cette immense pauvreté : comment se sent-on lorsque cela n’est pas acquis ? C’est une réelle violence du quotidien, où l’on ne peut se débrouiller tout seul, où l’on ne peut donc exercer pleinement sa liberté citoyenne, ou être à égalité avec les autres, si cette simple activité, nécessaire pour tout, ne peut être faite. Et apprendre tout seul… c’est bien dur. Surtout quand on n'ose pas dire que l’on ne sait pas.
Encore une fois ce sont, même dans la culture, les plus pauvres qui trinquent car, non-contents de ne savoir lire pour leur vie de tous les jours, ils sont privés de cette nourriture qu’est la littérature. Beaucoup de pauvres aussi, m’ont dit vouloir raconter leur histoire, dire au monde que l’on peut vivre pauvre mais heureux. Ils ne savent parfois comment le faire. Mais ils aimeraient, aussi, laisser une trace. La littérature n’est pas qu’une évasion quand ça ne va pas : elle est outil de réalisation, est aussi un remède contre l’oubli et contre la mort.
On ne peut à mon sens parler de littérature et d’écologie (puisque l’écologie est sociale par essence) sans parler de cette misère.
Sur le fond : si un scientifique a quelque chose à dire, il commence par l’écrire. Que ce soit une thèse en astrophysique, un livre d’histoire ou un rapport du Giec. Nous avons besoin d’un récit écologique. Nous avons besoin d’un Zola qui nous parle des misères du Vivant. Nous commençons à avoir de plus en plus d’auteurs, mais point encore de cette ampleur. Toute pensée a eu besoin de construire son récit, ses histoires, ses personnages pour faire rêver les enfants, lever les faibles et bouger les foules. De l’épopée de Gilgamesh au Petit Livre Rouge, en passant par l’Avesta d’Iran, la Bible, le Coran, le Tao Te King, les Entretiens de Confucius… nous pourrions en faire une liste incroyable. Comme certains auditeurs le savent peut-être, je suis auteur. Humblement par mon dernier livre avec des amis, nous avons essayé d’investir le champ de la fable en écologie. À ses origines, l’intellectuel désigne notamment les écrivains qui se sont engagés dans la cité au service des autres par notre art.
Grands-parents et parents qui nous écoutez, demandez ce soir aux plus jeunes chez vous s’ils écrivent ou aimeraient faire danser leurs propres mots. Aujourd’hui, chacun presque peut se publier en autoédition. Comme je le disais et j’y tiens, c’est un moyen d’expression et un moyen de demeurer après sa mort. En tant qu’auteur, je témoigne que c’est une de mes raisons personnelles d’écrire : lutter pour un temps contre la mort. De lutter pour la vie donc. De lutter pour notre vie, mais aussi pour notre survie en tant que civilisation. L’écologie a besoin de vivants. Elle a besoin de héros. Elle a besoin de récits. Elle a besoin de se plonger dans de longues réflexions nourrissantes. Elle a besoin des introvertis et de leurs tasses de thés. Elle a besoin de ses libraires indépendants, qui construisent le lien social, qui luttent à leur niveau pour la culture, et qui, souvent, sentent très bon au passage.
Alors écrivons ensemble ce que nous avons dans les tripes, passons le de cafés en ateliers d’écriture, lisons dehors avec tant de ces pauvres sans abris qui lisent. Les mots sont les armes du Pauvre. Utilisons-les. Bien écrire, c’est rajouter du bonheur au monde !
Jeunes de la "génération climat", Alexandre Poidatz et Stacy Algrain livrent en alternance, chaque semaine, leur regard sur l'écologie et leurs clés pour changer le monde.
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