Déflagration, honte, peine infinie, déchirement. Il y a un an le président de la Conférence des évêques de France et moi-même recevions le rapport de la Ciase. À ce moment-là je répondais à Jean Marc Sauvé, à la suite de sa présentation du rapport : "Monsieur le président, peut-on bien recevoir un désastre ?" Non on ne le peut pas, aujourd’hui encore. Je ne le peux pas.
Et pourtant ma responsabilité, comme la nôtre à tous d’une manière ou d’une autre, est bien d’y faire face, honnêtement, intégralement. Faire face à tant de malheurs provoqués, infligés, à cette folle banalité du mal qui a consisté à dissimuler, s’aveugler, nier.
Habiter au plus près de la mémoire de chacune des existences violentées jusqu’en son intime et pour laquelle le mal s’est insinué dans le tout de la vie pour la meurtrir, comme des coups partout au-dedans, jusque dans l’âme, dans la foi. Rester là. Non pour s’y morfondre.
Mais parce qu’il ne s’agit pas d’un dossier à traiter. Parce que la dette est infinie, quoi que nous fassions. Des journalistes, légitimement, me demandaient ces jours-ci ce qui avait changé et si l’Église faisait tout ce qu’il fallait. Comment oser répondre positivement ? Jamais nous n’aurons fait tout ce qu’il faut. Mais il est question de faire véritablement son possible, sans tricher, sans faiblir.
Ce qui a changé c’est peut-être, et je le dis en tremblant, que nous savons que des victimes sont dans nos proches, nos familles, nos communautés, au travail. Elles sont là. Trop souvent encore sans visage reconnu. Ce qui a changé, peut-être, c’est de savoir que nous ne pouvons nous en sortir seuls.
Les commissions de reconnaissance et de réparation œuvrent, avec opiniâtreté, engagement, compétences. Des groupes de travail sont à la tâche pour reprendre les 45 recommandations de la Ciase. Tous sont composés avec des laïcs, des experts. Mais cela ne suffit pas.
Ne pas s’en sortir seuls c’est travailler avec les victimes devenues témoins et témoins-experts de ce qui est mensonger. C’est le faire avec l’ensemble des talents et des savoirs dans notre société. C’est se souvenir comme une marque au fer rouge que le 5 octobre 2021 "assez de vérité" et je le crois profondément une page d’évangile nous sont venues d’autres que nous-
mêmes, de la Ciase et des milliers de victimes dont elle a recueilli la parole de douleur.
Nous ne poursuivrons ce chemin non tracé qu’avec tous, conscients de nos failles et nos ombres, nous faisant mendiants pour consentir à recevoir et apprendre. Il y a un an, je reprenais ces mots de Bernanos. Ils sont une exigence, toujours : pour moi, pour mon Église : "L’espérance est une détermination héroïque de l’âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté... N’espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu’ils prennent faussement pour de l’espérance... On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts."*
* Georges Bernanos, conférence (1945)
Véronique Margron op.
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