Désir de revanche ou amour de l'Evangile ? Dans son édito Benoist de Sinety analyse l'évolution de l'engagement politique catholique depuis la loi sur le Mariage pour tous. À la veille d'une élection majeure, il nous invite à relire les principales pages de l'enseignement social de l'Eglise pour "voter en conscience."
Il y a quelque chose qui ne laisse pas de me sidérer lorsque je parcours les réseaux sociaux et les débats qui agitent le microcosme catholique français, c’est l’hystérie dans laquelle certains se sont engouffrés depuis quelques années. On ne dira jamais assez combien le diabolique coup de génie de la loi sur le Mariage pour tous a été de sommer nombre d’entre nous, de gré ou de force, à se situer publiquement, et pour la première fois, sur la scène politique en fonction d’un projet législatif.
Combien dans nos communautés, nous fûmes nombreux à penser qu’il était un devoir moral, pour tout dire un devoir chrétien, de manifester comme nous ne l’avions jamais fait auparavant, ni pour défendre les droits des pauvres, ni pour protester contre les injustices du temps. Il n’était plus question que de cela : un baptisé ne pouvait que rejeter une telle perspective. C’était le sens de l’histoire sainte que de s’opposer à l’histoire païenne et par définition immorale que l’on voulait nous imposer.
Et tant pis si dans le même temps des milliers des nôtres s’exilaient de nos églises, découragés devant des assemblées où même les prêtres ne semblaient plus pouvoir écouter que le son du clairon sonnant la charge contre les mécréants.
Et tant pis si nous ne comprenions pas que les millions qui descendaient dans la rue n’étaient vus par les experts en agitprop qui nous gouvernaient alors, que comme un feu de paille quand nous nous persuadions qu’il s’agissait de l’aurore grandiose d’un monde qui redevenait catholique et romain.
Nous voici plus de dix ans plus tard, avec un corps gangrené et agonisant dans les râles « zemmouriens », toujours sommés par les mêmes, moins nombreux mais à la voix toujours plus autoritaire, couvrant les doux murmures de l’Esprit, de nous positionner au nom de la fidélité à une foi qui semble plus motivée par le désir de revanche que par l’annonce de l’Évangile.
Je ne parle pas ici de ceux qui revêtirent le gilet jaune de la colère devant un État qui semble les mépriser et une société qui les ignore. Eux, hors la violence physique, ont des droits que nul ne peut leur disputer : à ceux qui souffrent le plus on doit beaucoup plus encore.
Je parle de ceux qui, profitant d’un système économique qui leur est confortable, ne cherchent pas tant à soulager d’abord la misère de leurs prochains mais à se venger de ce qu’ils estiment être une défaite injuste.
Qu’on ne s’y méprenne pas, la prolongation de la durée légale de l’avortement est une horreur, la mise en place de la possibilité d’un avortement thérapeutique jusqu’à 9 mois pour des raisons de détresse sociale est une faute grave. De même que les projets sur l’euthanasie sont autant de perspectives barbares justifiées par un humanisme de séries Netflix alors qu’ils reposent essentiellement sur des considérations économiques, comme d’ailleurs les baratins sur la GPA que l’on commence à nous asséner.
S’il est une chose certaine, c’est qu’aucun des deux candidats ne nous garantira contre cela.
Il faut être clair : si nous nous attendons qu’un candidat satisfasse aux fameux « principes non-négociables » énoncés par Benoît XVI et repris par François – principes qu’on ne saurait restreindre aux seuls aspects bioéthiques en oubliant l’accueil des plus pauvres et des migrants ainsi que la promotion du bien commun et la paix civile – nous risquons de mettre du temps à trouver un chef de l’État ! Mais ces principes sont là pour nous aider à discerner et non pour nous servir de slogans ânonnés sans réfléchir.
Allumer une bougie un vendredi saint, comme le fit Mme Le Pen, dans une église, n’absout pas des discours haineux véhiculés depuis des décennies ni contre l’ensemencement des peurs dans les esprits.
Je me souviens, jeune séminariste, de l’un des nôtres interrogeant le Cardinal Lustiger à la veille d’une échéance électorale importante : « Pour qui faut-il voter ? ». La surprise de l’Archevêque lui inspira cette réponse « Surtout pas pour celui que je te recommanderais ! ». Les évêques ne sont pas des imams salafistes qui donnent des consignes de vote. Leur voix doit répercuter les paroles de l’Évangile, comme chaque baptisé, en tenant ferme l’inviolabilité de la dignité humaine et la nécessité vitale de la paix civile. Les mêmes ne peuvent appeler à une Eglise toujours plus synodale et dans le même temps exiger d’une hiérarchie qu’elle donne des consignes comme s’il s’agissait d’une parole révélée (à condition que cette hiérarchie use de la même prudence dans d’autres domaines de la vie humaine !).
Nous avons encore le temps de relire les principales pages de l’enseignement social de l’Eglise, trop méconnu, relire Laodato Si, et choisir en conscience, sans esprit de revanche, sans se laisser guider par la colère ou la peur, celui des deux qui semble malgré tout capable de maintenir la paix dans notre pays et de garantir l’État de droit. Tout cela éclairera d’avantage notre discernement que les vidéos de propagande qui excitent nos bas instincts...
Nous pourrons alors glisser dans l’urne le bulletin choisi en se rappelant les paroles du Ressuscité qui traversent les siècles et les tourments de l’histoire des hommes : « N’ayez pas peur ! ». Et puis, quoi qu’il se passe, il faudra s’engager pour que ce qui nous semble juste et digne, vrai et bon, puisse résister à l’ère du temps et à ses séductions. Cela pourra s’appeler l’objection de conscience, en espérant le cas échéant qu’il y aura plus de cinq évêques pour nous y appeler.
Pour réécouter l'émission spéciale de l'entre deux-tours "Macron/LePen : que dit la doctrine sociale de l'Eglise ?" cliquez ici
Le Père Benoist de Sinety est curé de la paroisse Saint-Eubert (Lille). Il est l'auteur du livre "Il faut que des voix s’élèvent" (éd. Flammarion, 2018). Chaque semaine, écoutez son édito dans La Matinale RCF.
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