Pour Alexandre Poidatz, du Collectif Lutte et contemplation, la lassitude des agriculteurs "est ce que ressent la majorité des classes moyennes et populaires face à la transition écologique". Pour rendre la transition écologique désirable, il faut la rendre juste et donc en faire porter le poids sur ceux qui en sont les principaux responsables : "ceux qui concentrent l’argent et qui polluent le plus".
Je comprends que les 400 000 agriculteurs et agricultrices puissent se sentir blessés lorsqu’ils sont accusés d'être des pollueurs.
Je comprends que les 250 000 ouvriers agricoles soient irrités d’entendre tout le monde leur expliquer comment faire leur métier.
Je comprends qu’ils soient fatigués de répondre à la double exigence d’un prix bas, et de qualité environnementale toujours plus importante.
Ce sentiment las des agriculteurs est ce que ressent la majorité des classes moyennes et populaires face à la transition écologique. L’écologie est perçue comme contraignante, indésirable. Et la colère des agriculteurs en est le symbole. Au fond, cette crise montre une fois encore que l’écologie doit être au service du social, et pas l’inverse. Mais qu’est-ce que ça veut dire concrètement ? Imaginez une chaîne avec plusieurs maillons. Notre système économique, c’est pareil. Malheureusement c’est une chaîne défaillante, car les maillons les plus faibles portent davantage le poids de la transition.
C’était le cas des gilets jaunes : on reposait le poids sur les travailleurs qui utilisaient leur voiture. Mais en amont de la chaîne, quid des constructeurs automobiles ? Des énergéticiens qui fournissent le pétrole ? Des banques qui prêtent à la consommation ? C’est la même chose pour la crise agricole. Quid des multinationales qui vendent les intrants, quid de la grande distribution, de l’industrie agroalimentaire ou encore des banques qui alimentent les dettes des agriculteurs ?
Pour inverser la dynamique négative de cette chaine, il y a deux rouages à mettre en place pour concilier écologie et économie.
D’abord, passer d’une logique de culpabilité à une logique de responsabilité. La question à se poser n’est pas de savoir de qui est-ce la faute ? Mais qui a le pouvoir d’agir ? Les maillons les plus forts de la chaîne. Pour les identifier, c’est simple : ce sont ceux qui concentrent l’argent et qui polluent le plus. C’est la responsabilité de l’offre, des grands distributeurs et de l’industrie qui font la pluie et le beau temps.
Certes il y a une responsabilité des consommateurs et des agriculteurs, mais uniquement les plus riches. 37% des Français se déclarent en insécurité alimentaire. 20% des agriculteurs gagnent moins de 620 euros par mois. À aucun moment, la responsabilité doit reposer sur eux, sinon c’est de la culpabilité.
C’est pourquoi, le deuxième rouage pour concilier écologie et agriculture, c’est le partage. Il faut garantir une meilleure répartition des richesses pour les différents maillons de la chaîne. Rappelons-le, la première demande des agriculteurs n’est pas anti-écologique : c’est de vivre dignement de son travail. Rappelons-le, les agriculteurs sont les premières victimes de la pollution, des pesticides par exemple.
Cette chaîne va donc dans le mur financier, écologique et sanitaire. Et lorsque le gouvernement détricote plusieurs mécanismes de protection de la biodiversité pour répondre à la colère des agriculteurs, il ne résout rien à la chaîne défaillante. Il l’alimente. Il nourrit le déraillement de notre société.
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